Au temps de l’URSS, les pays d’Europe de l’Est étaient qualifiés de satellites de Moscou. Aujourd’hui, les pays occidentaux ont pris la relève, en orbite autour des États-Unis. C’est tellement visible que c’en est indécent. Même pas une critique, même pas une réserve. Un suivisme aveugle, y compris contre les intérêts mêmes de leurs propres pays.
C’est toujours la même chose
En fait, c’est le même procédé qu’ont
toujours utilisé les États-Unis. Dans la première guerre en Irak, le mensonge
des nouveaux nés tués dans leurs incubateurs avait permis une campagne
médiatique hystérique et le déclenchement immédiat des hostilités. Dans la
deuxième guerre en Irak, cela avait été le mensonge des armes de destruction
massive. Bilan de ces deux mensonges, un million de morts en Irak.
En 2011, le mensonge de massacres de masse
à Benghazi avait servi de prétexte à l’agression contre la Libye. Les États
Unis ont déjà fait cela, pourquoi ne le referaient-ils pas en Ukraine ?
C’est chaque fois le même scenario : « crimes de guerre » »
et atrocités attribuées à l’adversaire, médiatisation intense qui sidère
l’opinion occidentale et qui vise à imposer l’idée qu’on ne peut attendre pour
agir puis intervention. Lorsque le mensonge est dévoilé, il est toujours trop
tard, le mal a été fait. Personne ne parlera en Occident de juger les menteurs.
C’est chaque fois la même chose et cela recommence chaque fois.
Il est étrange de voir des États du monde
non occidental, il est vrai en nombre de moins en moins grand, tomber encore
dans le piège, comme cela vient d’avoir lieu lors du vote de suspension de la
Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, exactement comme cela avait
été fait pour la Libye en 2011 suite aux mensonges dont on vient de parler.
Mais il est vrai que les gouvernements sont une chose, et les peuples autre
chose. Les peuples du monde non occidental ont, eux, depuis longtemps compris
et n’accordent plus aucune crédibilité au récit étasunien.
Que reste-t-il du journalisme ?
Propagande, guerre idéologique, c’est tout
naturellement que le système médiatique occidental s’est vu confié, de plus en
plus, ces dernières décennies, une mission de guerre totale. L’entière
subordination des pays européens aux États-Unis est la plus apparente, elle est
la mieux révélée dans le comportement des médias occidentaux. Ici le suivisme
est total : les États-Unis produisent une analyse de la situation
militaire en Ukraine, ou bien sur l’impact des sanctions économiques, ou bien
encore sur les oligarques russes et même sur la santé mentale de Vladimir
Poutine, et tous les médias occidentaux suivent comme un seul homme. La ligne
éditoriale dans tout l’Occident est donnée par les États Unis. Le quatrième
pouvoir, celui de la presse, est totalement subordonné au pouvoir politique,
sans même qu’il ne reste une distance, ou qu’on tente même de sauver les
apparences, comme c’était le cas naguère.
Le journalisme occidental plonge alors dans
la déchéance professionnelle. Lorsqu’un journaliste, un responsable de
l’information d’une grande chaine de télévision s’aligne immédiatement, comme
un soldat aux ordres, sans discussion, sans distanciation, sur des déclarations
de caractère politique concernant des évènements aussi graves que les atrocités
de Boutcha et autres, en ne faisant pas la différence entre la politique et
l’information, que reste-t-il du journalisme et de la recherche de la
vérité ?
Lorsque tous en chœur répètent l’argument
imbécile que les pays européens, en achetant leur énergie à la Russie,
« financent ainsi la guerre contre l’Ukraine », sans songer un
instant qu’on pourrait dire, tout autant, que la Russie entretient ainsi la
puissance industrielle et économique de ses adversaires, et donc leurs moyens
de soutenir militairement et financièrement le pouvoir en Ukraine, que
reste-t-il de l’esprit critique ? Lorsque Joe Biden utilise les mots de
« boucher », de « dictateur », de « criminel de guerre »
concernant Vladimir Poutine, et que tous les journalistes se croient dès lors
autorisés à cette terminologie, que reste-t-il de l’indépendance
d’esprit ?
Lorsque des journalistes regardent les
images de Boutcha et qu’ils ne se posent aucune question à ce sujet, pas même
sur ces corps étrangement exposés comme si les russes avaient voulu s’accuser
eux-mêmes, et lorsque pour le drame de la gare de Kramatorsk le crime est signé
par une inscription russe, « pour nos enfants » bien en évidence sur
le missile, et que personne sur le plateau n’est même pris d’un doute, que
reste-t-il alors du doute systématique du journaliste ? Lorsque des
journalistes parlent très vite de la « nécessité d’enquêtes », pour
immédiatement après considérer tout cela comme des « faits avérés »,
et qu’’un journaliste sur le plateau s’exclame que « c’est trop évident et
qu’il n’y a pas besoin d’enquête » que reste- il de la logique et de la
cohérence ?
Lorsqu’après la campagne médiatique
intense sur le bombardement de la maternité de Marioupol, le premier témoin,
cette femme enceinte , influenceuse sur Internet, la même qui avait été adulée
et largement médiatisée au départ, dit maintenant que c’est un bataillon
ukrainien Azov qui a bombardé la maternité, et que, des journalistes, d’un seul
élan, disent alors que son témoignage est désormais suspect et « qu’elle a
dû subir des pressions pour parler ainsi », il y a vraiment problème dans
l’information occidentale.
Lorsque on évite soigneusement,
pratiquement partout, sur tous les plateaux, et dans les journaux, de dire, au
sujet du martyr des habitants de Marioupol, qu’il y a, là, des combats acharnés
qui opposent l’armée russe aux bataillons Azov retranchés dans la ville, on ne
perçoit plus alors que l’image absurde d’une ville bombardée apparemment sans
raisons. Qu’est-ce qu’il reste alors du journalisme d’information ? Il ne
reste plus qu’une propagande partisane, utilisant tous les ressorts
émotionnels, pour mobiliser l’opinion occidentale dans l’effort de guerre et
les sacrifices qui lui seront de plus en plus demandés.
Signe des temps, c’est sur les grandes
chaines d’information non occidentales, notamment les grandes chaines
d’information arabes, Al Arabiya, Al Jazeera, qu’on trouve actuellement le
respect de la déontologie professionnelle : ton sobre, distanciation,
présentation des informations en provenance de chaque protagoniste,
confrontation des points de vue contraires, compte rendu scrupuleux des
déclarations officielles, sans coupure ou censure comme le font les chaines
occidentales concernant Vladimir Poutine et autres dirigeants russes. Les
informations militaires en provenance des deux camps sont données. On assiste
en direct aux réunions du Conseil de sécurité de l’ONU. Les correspondants de
guerre sont véritablement, sur le terrain, et non ces correspondants qui, a
l’abri dans les zones calmes, interviewent des réfugiés. A l’inverse, ceux d’Al
Jazeera prennent d’ailleurs des risques qui font frémir.
Sur Al Jazeera, un conseiller de Joe Biden
disait qu’il fallait traîner Vladimir Poutine devant le Tribunal Pénal
International (TPI), ce à quoi la journaliste lui a fait remarquer :
« Mais vous avez toujours refusé de reconnaître la compétence de ce
Tribunal pour les États Unis, comment pouvez-vous la réclamer pour
d’autres ? » Le conseiller en est resté sans voix. Peut-on imaginer
actuellement un tel dialogue sur une chaîne occidentale ? Et pourtant il
s’agit de simple objectivité.
Certes ces médias, eux aussi, peuvent
tomber dans la désinformation dans des circonstances semblables, lorsque le
poids du pouvoir politique devient destructeur pour le métier de journaliste.
L’exemple du rôle d’Al Jazeera pendant la crise libyenne le prouve. Mais ceci
mériterait d’autres développements.
Peut-être une rage
L’expression « effort de
guerre » occidental, employée plus haut, se justifie lorsqu’on voit le
développement rapide du soutien militaire et financier apporté au gouvernement
ukrainien. N’est -il pas en train de transformer de plus en plus les États-Unis
et les Européens qui les suivent en belligérants. Les États-Unis, les pays
européens, et leurs medias disent et répètent qu’ils ne participent pas à la
guerre. Peut-on être plus impliqués qu’ils ne le sont, à part envoyer des
troupes ? Il ne s’agit plus de l’Ukraine, il s’agit de leur guerre, à voir
leur mobilisation totale. Les Occidentaux jouent sans arrêt « au chat
perché » sur une ligne de plus en plus ténue entre le soutien militaire et
la participation directe. Même sur le plan économique, le discours est devenu
de plus en plus violent de plus en plus haineux. Joe Biden promet désormais de
ruiner l’aviation commerciale russe, de l’empêcher de travailler. Il cible la
famille même de Vladimir Poutine en dehors de toute retenue. Jusqu’où va-t-on
aller ? C’est comme s’il y avait, peut-être, désormais une rage, celle
d’être impuissant, celle pour la première fois depuis la fin de la guerre
froide, de ne pas imposer leur loi, qui obscurcit l’entendement des dirigeants
des EU et qu’ils transfèrent à leurs alliés. Tout cela est extrêmement
dangereux pour le monde.
Et tout cela se répercute et se reflète
aussi dans le système médiatique qui lui-même pousse sans arrêt à l’escalade,
qui met de plus en plus le curseur un peu plus loin, au fil des déclarations
politiques étasuniennes. Ce système est devenu une arme essentielle de la
guerre. Comme le ferait une préparation d’artillerie sur un champ de bataille,
le bombardement médiatique précède toujours chaque escalade qui va être faite,
tant sur le plan de la fournitures d’armes de guerre que de sanctions
économiques. C’est cet asservissement total au nationalisme occidental qui peut
expliquer sa dégradation continuelle.
On pourrait dire que cela a toujours été
ainsi dans les guerres, qui sont aussi des guerres de propagande. Mais il y a
là quand même quelque chose de nouveau. Naguère, il y avait dans les médias et
la presse occidentale des positions critiques par exemple sur la guerre du
Vietnam, y compris aux États-Unis, sur l’invasion de l’Irak, par exemple dans
des médias étasuniens et français. Les exemples du New York Times ou du journal Le Monde sont connus. Mais désormais, cela
n’existe plus, y compris pour ces deux institutions du journalisme occidental.
Il n’y a plus que la propagande, brute, sommaire, unilatérale, consensuelle,
une seule vision, une seule approche, aucune confrontation de points de vue
divergents. Si on débat, c’est seulement pour mieux prouver son zèle contre la
Russie, présenter les meilleurs arguments.
On imagine l’énorme pression qui s’exerce
sur les journalistes occidentaux qui veulent rester professionnels et défendre
l’honneur de leur profession. Ils ont souvent à affronter une attitude hostile,
voire agressive dans les médias mainstream. Beaucoup sont alors obligés de se
réfugier sur des sites web ou des medias alternatifs. Leur admirable résistance
vient prouver qu’il existe en Occident, y compris chez les journalistes, bien
des forces décidées à défendre les traditions historiques de ce métier.
Les « médias mentent », telle a
été, de plus en plus, le sentiment majoritaire dans la plupart des pays
occidentaux notamment depuis la fin de la guerre froide et la domination sans
partage des États-Unis. En fait, si aujourd’hui la pression énorme de la
propagande de guerre donne l’impression qu’en Occident il y a une adhésion au
système médiatique, cela n’est qu’une apparence. Cette déchéance du système
médiatique était annoncée. La méfiance, l’hostilité envers le système
médiatico-politique s’est développée ces dernières décennies dans les sociétés
occidentales et est désormais profondément ancrée. Certes, elle est aujourd’hui
atténuée par le nationalisme occidental mais elle est toujours là en
arrière-plan. Cela explique le succès d’hommes comme Donald Trump ou Éric
Zemmour en France, qui ont fait campagne sur une dénonciation violente du
système médiatique tout en orientant cette dénonciation vers des thèmes
xénophobes et populistes.
On s’est un peu partout, ces dernières
années, en Occident, attaqué aux journalistes, ceux des grandes chaines notamment,
CBS, LCI etc., et parfois violemment, physiquement. Dans l’attaque du Capitole,
les journalistes se cachaient pour échapper à la foule. Dans le grand mouvement
des « Gilets jaunes » en France, l’hostilité aux médias s’exprimait
de manière très forte, des chaines comme LCI (encore elle ) étaient expulsées
par les manifestants.
L’une des causes du succès des thèses
conspirationistes est peut-être là, dans la conviction que « On ne nous
dit pas la vérité », comme c’est le sentiment d’une grande partie de la
population. Cette méfiance à l’égard du système médiatique, cette dégradation
profonde de son image, se reflètent notamment dans l’Internet. Il est devenu en
grande partie un système d’information alternatif, où se forme une opinion en
opposition avec le système médiatico-politique.
L’idée qu’on peut créer l’opinion à partir
des médias s’est, en fait, révélée fausse. Le développement d’une opinion
hostile aux médias dominants le prouve. Il n’est pas possible en effet
d’orienter durablement les gens en dehors des réalités qu’ils vivent, et qui
restent, à la fin, le facteur décisif de formation de l’opinion. C’est une
bonne nouvelle.
Si le récit des médias occidentaux, basé
sur le nationalisme occidental, peut donc encore tromper en Occident, il est
devenu totalement discrédité dans le reste du monde. Plus personne n’y croit ou
n’y accorde un quelconque crédit. Il s’agit là d’une crise profonde de
l’information occidentale.
Une des raisons essentielles, peut-être de
la dégradation graduelle du système médiatique occidental c’est qu’il donne une
conscience inversée de la situation du monde. L’Occident se pense être le
monde, la « communauté internationale » comme il se nomme alors que
son obsession hégémonique l’éloigne toujours plus de l’immense majorité des
peuples et rend l’image qu’il a de lui-même peu crédible. Mais il la garde
quand même. Dans leur déni des nouvelles réalités du monde, il est impossible
aux médias occidentaux de produire une information sérieuse. Ils
s’auto-intoxiquent.
Cette crise ukrainienne révèle tout cela
de façon inattendue. Si on prend le critère des sanctions économiques,
l’Occident n’a pu y faire participer, aucun autre pays, autre qu’occidental,
même symboliquement. Au fond, ce n’est pas la Russie qui est isolée mais l’Occident.
Les occidentaux ont voulu, cette fois ci, créer un rideau de fer et l’abattre
sur la Russie. Mais ce n’est plus possible, les temps ont changé.
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Titre : Le système médiatique occidental et la guerre en
Ukraine
Auteur : Djamel
Labidi , professeur de sociologie à Alger
Date de première publication : 15
avril 2022 in Le Grand Soir