Les nouvelles dispositions inscrites dans le
code pénal, introduisent les concepts de "mobilisation", de "loi
martiale" et de "temps de guerre". Elles créent de nouveaux délits
comme "le pillage", "la non exécution des ordres," et aggravent les sanctions pour des délits
anciens et les crimes de toute nature. Cette modification rapproche en fait le droit positif russe d'une législation de temps de guerre.
Les referendums seront tenus dans les
républiques de Donetz et Lougansk, et les zones libérées de Kherson et
Zaporodje du 23 au 27 septembre, et les résultats publiés le 28. Ils porteront sur le rattachement à la Fédération de Russie. Du
point de vue juridique, en cas de victoire des séparatistes, les territoires
nouvellement rattachés seront considérés comme partie du territoire russe, leurs habitants
comme citoyens russes, soumis au droit de la Fédération. Toute attaque ou intrusion étrangère sera considérée comme une atteinte à l'intégrité territoriale et à la souveraineté
de la Russie. Il s'agira ensuite pour elle de faire effectivement appliquer la loi et
d'exercer effectivement la souveraineté nationale puisque cette souveraineté
sera immédiatement contestée par Kiev et les Occidentaux.
Les trois changements, le droit pénal, les
référendums, et la mobilisation des réservistes (1% de la réserve selon Moscou),
modifient substantiellement les conditions de "l'opération militaire
spéciale". L'augmentation des effectifs va compenser l'avantage du nombre
des Ukrainiens qui alignaient plus de 350.000 combattants contre 150.000 environ
coté Russes et alliés. Les Russes se sont-ils ainsi dotés de moyens de manœuvre
suffisants pour submerger l'armée ukrainienne équipée et pilotée par les États-Unis
depuis 2014 ? On ne sait rien de leurs objectifs militaires et politiques précis, mais
on peut imaginer qu'ils viseront tout le territoire russophone de l'Est de
l'Ukraine, incluant peut-être les oblasts de Kharkov et Odessa. On ne sait rien non plus des changement
opératifs, méthodes et rythmes de la guerre, qui suivront. Mais il est évident
que les Russes auront davantage d'options et qu'ils chercheront avant tout à
reprendre l'initiative.
D'autre part, les modalités de sortie de la
guerre en cours sont modifiées elles aussi. Quelle sera la marge de négociation
le jour les Occidentaux reconnaitront enfin qu'elles sont la seule issue ?
Du point de vue russe, les modifications du territoire national, expression d'une volonté
populaire basée sur un vote, ne sont pas réversibles. Début septembre, le
général américain Mark Kimmit après beaucoup d'autres soulignait dans le WallStreet Journal que "comme il
y a peu de chances de sortir du marasme actuel, il vaut peut-être mieux
négocier maintenant que plus tard
[...] M. Zelensky et l'OTAN doivent faire face à des décisions difficiles
avant que celles-ci ne leur soient imposées." Il est peut-être
trop tard pour M. Zelensky et l'OTAN ...
Si tel est le cas, la séquence militaire qui a
débuté en février et qui entre désormais dans une nouvelle phase serait le
point d'orgue de la dislocation de l'Union soviétique en 1991. A cette date, 25
à 30 millions de Russes sont brusquement devenus des minorités au sein des
nouveaux pays indépendants. Dans le cas de l'Ukraine, la frontière de 1991
couvrait les limites administratives d'une nationalité fictive inventée par
Lénine en 1920 pour consolider le régime bolchevick alors très fragile, et d'une
décision de rattachement non ratifiée de Khrouchtchev de 1954 pour la Crimée. Ce qui fait qu'en
1991, ce que les soviétiques appelaient l'Ukraine juxtaposait des populations
profondément divisées par les appartenances passées, les héros nationaux, la
religion, la localisation géographique et en partie par la langue.
Les Ukrainiens ont vécu trente deux ans au
sein d'une même nationalité. Cela ne veut pas dire que l'Ukraine était une nation. Les
années de coexistence des peuples qui la composaient ont été marquées par un
recul permanent du niveau de vie, la désindustrialisation, l'émigration et la pire
corruption en Europe. En même temps l'Ukraine subissait l'intrusion systématique
des États-Unis et de l'Allemagne dans son système politique. La "révolution
orange" de 2004 et surtout le coup d'État de Maïdan de 2014, conçu et
exécuté sous la férule de Mme Victoria Nuland aujourd'hui le troisième
personnage du Département d'État américain, en ont été les moments forts. Cela a débouché sur une guerre civile de huit ans, de 2014 à 2022 et finalement sur l'intervention russe du 24 février.
L'Occident avait dès 1991 considéré l'Ukraine,
comme une proie économique et un enjeu stratégique de première importance. Pour
l'absorber, il lui fallait créer un fossé infranchissable entre lui et la Russie, et
pour cela il s'est appuyé sur les groupes activistes néo-nazis qui pullulaient
à l'ouest du pays. Les États-Unis portent une responsabilité écrasante dans l'essor
de l'idéologie et des pratiques néo nazies en Ukraine, et dans l'incapacité
actuelle de ce pays de s'afficher comme une nation viable. Aujourd'hui la
déchirure est trop profonde. L'Ukraine comme nation a échoué. L'Ukraine comme
nationalité est impraticable. D'une façon ou d'une autre une certaine partition
est inéluctable. Elle se dessine clairement désormais, de part et d'autre du
Dniepr.
Dans la nouvelle phase qui commence, comme
souvent dans l'histoire, les armes vont s'affronter: les vrais protagonistes sont les
États-Unis et la Russie, les Ukrainiens de Kiev seront le proxy, la chair à
canon américaine. Espérons qu'ils en prendront conscience le plus vite possible.
Jean-Pierre Bensimon, pour Après-guerre
22 septembre 2022