Larry Johnson développe l'idée que les Occidentaux, Américains compris, n'ont pas la base industrielle voulue pour produire sur la longue durée et à l'échelle de la guerre conventionnelle de haute intensité les volumes monstrueux d'armes lourdes nécessaires. Cela les condamne à perdre inéluctablement dans un face à face avec les Russes, sauf à utiliser l'arme nucléaire. (NdT)
Larry C. Johnson
Vous vous souvenez il y a trois semaines, lorsque Poutine et l'armée russe étaient dans les cordes et que l'armée ukrainienne traversait Kharkov à toute vapeur ? C'était à l'époque, et la victoire promise par Ukraine ne s'est pas matérialisée. Avec le recul, il apparaît que la Russie a abandonné le territoire stratégiquement insignifiant de l'Oblast de Kharkov en Ukraine et a redéployé ses forces dans le Donbass, à Zaporodje et à Kherson. Pourquoi ? Pour être en position pour le référendum, c'est-à-dire pour défendre les oblasts ukrainiens qui auront la possibilité de voter pour ou contre la réunification avec la mère Russie. L'annonce ultérieure de Poutine concernant les référendums, qui ont débuté vendredi dernier, n'était ni un laissez-passer ni un acte de désespoir. La planification de cet événement était en cours depuis au moins un mois, voire plus.
Alors que l'Ukraine continuait à lancer ses
troupes contre les lignes russes et à lancer des frappes d'artillerie sur des
cibles civiles, elle a payé un prix terrible en termes de pertes humaines et de
destruction de chars et de véhicules de combat, et a complètement échoué à
perturber le vote. Des observateurs internationaux ont surveillé le vote dans
les quatre oblasts. J'aimerais qu'au moins un journaliste demande à ces
observateurs quand ils ont été contactés pour la première fois et quand on leur
a demandé de venir sur le territoire contrôlé par la Russie et d'effectuer
cette surveillance. Ce détail donnerait une idée de l'ampleur de la
planification préalable des référendums.
Il semble que le vote en faveur de la
réunification avec la Russie sera très majoritairement en faveur de la
transformation en républiques russes. Une fois les résultats certifiés, la
Douma russe acceptera la décision et Poutine ajoutera la cerise sur le gâteau
et la rendra officielle. À ce moment-là - ce vendredi - l'opération militaire
spéciale en Ukraine prendra fin et la Russie sera en mesure de défendre son
nouveau territoire.
Je m'attends à ce que Poutine prenne la parole
pour commémorer l'événement et fasse savoir à l'Ukraine, à l'OTAN et aux
États-Unis que toute nouvelle attaque contre Lougansk, Donetsk, Zaporodje et
Kherson sera une attaque contre la Russie. L'Ukraine et l'Occident seront
prévenus. La balle sera dans leur camp.
Cela donnera l'occasion à ce qui reste de
l'Ukraine de rechercher la paix. Je doute que l'Ukraine et l'Ouest acceptent
cette chance. Les attaques contre la nouvelle population russe vont se
poursuivre et la Russie va agir. Contrairement à la retenue dont elle a fait
preuve au cours des plus de six derniers mois, la Russie est susceptible de
répondre par des tactiques plus agressives qui pourraient inclure la coupure de
l'électricité en Ukraine et l'attaque des centres de commandement, y compris le
quartier général de Zelensky à Kiev. Cela entraînera une escalade significative
des combats, mais l'Ukraine et l'OTAN auront une capacité de réaction limitée.
Pourquoi ?
L'Occident ne dispose plus de la base
industrielle nécessaire pour faire face à la production de matériel de guerre
de la Russie. Cette faiblesse est aggravée par le double choc de l'inflation et
de l'effondrement économique qui ravage l'Europe et commence à toucher les
États-Unis. Le Royal United Services Institute (RUSI), le plus ancien groupe de
réflexion sur la défense et la sécurité au monde et le plus important au
Royaume-Uni, a récemment publié un important essai détaillant ce déclin :
La guerre en Ukraine a prouvé que l'ère de la
guerre industrielle est toujours là. La consommation massive d'équipements, de
véhicules et de munitions nécessite une base industrielle à grande échelle pour
le réapprovisionnement - la quantité a encore une qualité qui lui est propre.
Le combat à grande échelle a opposé 250.000 soldats ukrainiens, ainsi que 450.000
soldats citoyens récemment mobilisés, à environ 200.000 soldats russes et
séparatistes. L'effort pour armer, nourrir et approvisionner ces armées est une
tâche monumentale. Le réapprovisionnement en munitions est particulièrement
onéreux. Pour l'Ukraine, cette tâche est aggravée par les capacités de tir en
profondeur de la Russie, qui cible l'industrie militaire et les réseaux de
transport ukrainiens dans toute l'étendue du pays. L'armée russe a également
souffert des attaques transfrontalières et des actes de sabotage ukrainiens,
mais à une échelle moindre. Le taux de consommation de munitions et
d'équipements en Ukraine ne peut être soutenu que par une base industrielle à
grande échelle.
Cette réalité devrait constituer un
avertissement concret pour les pays occidentaux, qui ont réduit leur capacité
industrielle militaire et sacrifié l'échelle et l'efficacité à l'efficience.
Cette stratégie repose sur des hypothèses erronées quant à l'avenir de la
guerre, et a été influencée à la fois par la culture bureaucratique des
gouvernements occidentaux et par l'héritage des conflits de faible intensité.
Actuellement, l'Occident n'a peut-être pas la capacité industrielle de mener
une guerre à grande échelle. Si le gouvernement américain envisage de redevenir
l'arsenal de la démocratie, il convient de réexaminer les capacités actuelles
de la base militaro-industrielle américaine et les hypothèses fondamentales qui
ont présidé à son développement.
C'est l'œuvre du lieutenant-colonel (retraité)
Alex Vershinin[1],
un citoyen américain. Il expose en détail le défi auquel les États-Unis et leurs
alliés de l'OTAN sont confrontés s'ils osent affronter la Russie dans une bataille de type 'riposte du tac au tac'.
Actuellement, les États-Unis réduisent leurs
stocks de munitions d'artillerie. En 2020, les achats de munitions d'artillerie
ont diminué de 36 % pour atteindre 425 millions de dollars. En 2022, il est
prévu de réduire les dépenses en munitions d'artillerie de 155 mm à 174
millions de dollars. Cela équivaut à 75.357 cartouches " muettes " de
base M795 pour l'artillerie régulière, 1 400 cartouches XM1113 pour le M777 et
1 046 cartouches XM1113 pour les canons d'artillerie à tir prolongé. Enfin, 75
millions de dollars sont consacrés aux munitions à guidage de précision
Excalibur, qui coûtent 176.000 dollars par munition, soit un total de 426
munitions. En bref, la production annuelle d'artillerie américaine ne durerait
au mieux que pour 10 jours à deux semaines de combat en Ukraine. Si
l'estimation initiale des obus russes tirés est surestimée de 50 %,
l'artillerie fournie ne durerait que trois semaines.
Les États-Unis ne sont pas le seul pays à être
confronté à ce défi. Lors d'un récent jeu de guerre impliquant les forces
américaines, britanniques et françaises, les forces britanniques ont épuisé les
stocks nationaux de munitions critiques au bout de huit jours.
La Russie, en revanche, jouit du luxe d'usines
de défense qui fonctionnent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et produisent des
munitions, des véhicules, des chars, des drones, des missiles et des roquettes.
L'Occident continue de se bercer de l'illusion que l'économie russe est plus
que chancelante. La Russie dispose des minéraux, du matériel et du personnel
qualifié nécessaires pour produire ce dont l'armée russe a besoin pour soutenir
ses opérations, en particulier les opérations de combat intenses.
Je ne sais pas si tel était le plan russe dès
le départ - c'est-à-dire mener des opérations qui aboutiraient au désarmement de
facto des États-Unis et de l'Europe - ou s'il s'agit de pure sérendipité[2]. Quoi
qu'il en soit, l'Occident n'a aucune option viable, à part la guerre nucléaire,
pour vaincre la Russie en Ukraine.
Les semaines à venir mettront en évidence les
fractures de l'alliance de l'OTAN. La Grande-Bretagne, par exemple, s'est
réveillée ce matin pour apprendre que la livre sterling, autrefois puissante,
qui avait deux fois la valeur du dollar américain, vaut désormais moins que le
dollar. Cela signifie que les Britanniques vont payer plus cher les produits
qu'ils importent des États-Unis. Bien que les États-Unis ne représentent que 12
% des importations britanniques, l'augmentation des prix accentuera la spirale
inflationniste au Royaume-Uni. Le tout nouveau Premier ministre britannique,
Liz Truss, est déjà confrontée à la réticence des conservateurs à l'égard du
plan économique qu'elle propose. Le décès de la reine Elizabeth a mis les
problèmes politiques en veilleuse pendant quelques semaines. La lune de miel
est terminée et la pression de la politique intérieure du Royaume-Uni rendra
moins certain le maintien du soutien à l'Ukraine.
L'effondrement des économies de la France, de
l'Allemagne et de l'Italie obligera également ces pays à passer plus de temps à
essayer de calmer l'agitation intérieure croissante. Si l'on tient compte de la
crise énergétique et des revers militaires ukrainiens à l'approche de l'hiver,
les fondements de l'unité de l'OTAN vis-à-vis de l'Ukraine risquent de se
fissurer.
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Titre
original : More on The Referendum
Game Changer
Auteur : Larry Johnson Larry C. Johnson se présente comme
un authentique fils de révolutionnaires américains, 24 de ses ancêtresayant
combattu pour libérer les colonies américaines de la domination britannique. Considérant
que les principes pour lesquels ils se sont battus restent valables et
pertinents au 21e siècle. Son blog non partisan est ouvert aux patriotes
partageant les mêmes idées.
Date de premiere publication : 26 septembre
2022 in A son of the new American Revolution
Traduction : Après-guerre
[1] Alex Vershinin démontre dans The
Return of Industrial Warfare que la guerre de haute intensité nécessite
une base industrielle spécifique pour alimenter les arsenaux nécessaires et que
l'Occident ne possède pas cette infrastructure
[2] Aptitude à réaliser par hasard une découverte fructueuse