24 sept. 2022

On a macronné mardi dernier à l'ONU, par Jean-Pierre Bensimon

Le rituel du discours d’ouverture annuel à l’ONU n’est ni un rendez-vous littéraire, ni un évènement festif. Mais on y apprend beaucoup sur la politique étrangère du moment de chaque pays et un peu sur la personnalité de l’orateur.


Emmanuel Macron a prononcé le sien, le 20 septembre. On a pu y apprendre un peu sur la politique du moment et beaucoup sur Macron lui-même. L’autorité du premier personnage de l’État et l’une des clés de ses succès politiques, en général pour le bien du pays. Et le citoyen se doit de ne pas ternir inutilement son image. Mais quand le premier personnage s’égare, se ridiculise ou devient un risque pour son peuple, le citoyen se doit alors d’en prendre acte et de le faire savoir.

Macron voulait profiter de la chambre d’écho mondiale offerte par l'ONU pour faire rentrer au bercail occidental les pays qui avaient affiché de près ou de loin des positions pro-russes ou des réserves sur les responsabilités russes dans le conflit ukrainien. Ces pays récalcitrants représentent quand même ensemble quasiment les 2/3 de l’humanité.

L'allocution présidentielle fut un torrent, un tourbillon d’accusations, d’invectives, et de menaces qui perçaient de mille flèches plus empoisonnées les unes que les autres, l’estime et la réputation de la Russie, notre grand voisin de l’Est, notre allié pendant près de deux siècles. On se serait cru dans la fournaise d’une AG parisienne de gauchistes ou d'écologistes ignares, mais on était dans une assemblée de carnivores au sang froid (*) qui comprennent vite à qui ils ont à faire.

C'est à ce moment que la diabolisation se transforme a en élucubrations.

Le réquisitoire de Macron ? La Russie est coupable d’agression, de viol du droit, et de crimes de guerre.  Mieux, elle est coupable « d'ouvrir la voie à d'autres guerres d'annexion aujourd'hui en Europe, mais peut-être demain en Asie, en Afrique ou en Amérique latine. » Pourquoi pas sur la lune ou sur Mars ?

L’argument imparable arrive ensuite : « une chose est sure et certaine : au moment où je vous parle, il y a des troupes russes en Ukraine et à ma connaissance, il n'y a pas de troupes ukrainiennes en Russie. » Oui, et au même moment il y a des troupes françaises au Niger et il n’y a pas de troupes nigériennes en France Qu'en conclure? Que la France agresse le Niger. Puissante dialectique ! Il y a même 4 bases militaires françaises à l’étranger, une russe et 800 américaines, les Américains ayant renversé 50 régimes depuis 1991. Et c’est la Russie qu'il accuse d'un « retour à l’âge de l’impérialisme et du colonialisme. »

A ce jeu, on se mord la queue. Macron dit qu’il recherche « obstinément la paix » et en même temps il se vante de livrer des armes à l’une des parties et il injurie publiquement et menace des tribunaux internationaux l’autre partie. Voila une médiation diplomatique qui a de l'avenir.

C’est sans doute pour cela qu’un terme nouveau se répand à l’étranger, jusqu’en Ukraine. Le néologisme « macronner » qui signifie « parler pour ne rien dire » ou « parler sans rien faire ». On comprend pourquoi.

Il faut à présent en venir à l’essentiel.

1 - La Russie n’est pas l’agresseur dans la guerre actuelle. La Russie est intervenue le 24 février après le déclenchement par Kiev, armé jusqu'aux dents par les Américains, d'une opération majeure contre les républiques du Donbass. Tous les éléments d’une offensive éclair étaient en place dès le 16 février : bombardements des autonomistes, concentration de troupes, de chars, de lance-roquettes et d’équipements du génie, opérations de déminage pour ouvrir la voie aux blindés.

La Russie a été contrainte de prendre l'initiative de protéger les Russes de souche de la région et de prévenir l’invasion de la Crimée. Le piège était made in USA et la chair à canon ukrainienne. Voila pourquoi nous en sommes là. Les stratégistes américains les plus reconnus, Georges Kennan, Henry Kissinger, Zibgnew Bzrezenski, John Mearsheimer, et beaucoup d’autres, avaient publiquement mis en garde contre l'engrenage guerrier, inéluctable et funeste, où la relation russo-américaine est plongée. 

Le discours unilatéral de Macron était donc un tissu de mensonges et d’inepties, si radical et violent qu’il a dû en consterner beaucoup parmi les faucons moins maladroits de Washington. C'était un discours de guerre et d'incitation, pour une guerre qui n'est pas la notre. Les Français n'ont aucun goût pour le sacrifice, ni pour l'Ukraine, ni pour Biden, ni pour Moscou non plus, et ils ont bien raison.

De leur coté, les carnivores ont dû considérer le Français à la tribune comme un moulin à paroles et sa véhémence comme une mise en scène divertissante.

2 – Macron a aussi évoqué les sanctions : « qui peut ici défendre l'idée que l'invasion de l'Ukraine ne justifiait aucune sanction ? » En d’autres termes, Macron délimite le couple « invasion/sanctions » relatif aux Etats comme le décalque du couple « faute/punition » pour les garnements. Cette raison infantile n'est pas la raison politique. S’il avait été un chef d’État, au lieu de penser  punition, il aurait évalué l’impact en boomerang de ces sanctions sur le peuple de France, sur les pays de son voisinage en risque de déstabilisation, et sur les objectifs sacrés de décarbonation de la planète.

Pour les Français, en particulier pour les plus vulnérables, les sanctions signifient peur pour l’avenir, peur pour le niveau de vie, peur pour l'emploi, peur des pénuries et des coupures d’électricité, peur d’avoir froid et faim cet hiver et désormais peur de la guerre. Pour faire boire son calice à la population, la politique macronienne invoque la force majeure et prêche la résignation et l'abstinence. Comme si les calamités promises étaient une fatalité, autre chose que les effets d’un aveuglement anti-russe irresponsable. Comme si on ne pouvait pas conjurer immédiatement 90% de ces déboires en renouant des relations d’État ordinaires avec la Russie. La Russie est notre voisine et nous offre des opportunités exceptionnelles qu'il faut exploiter.

D’autant que les sanctions imaginées à Washington bien avant février 2022, et aggravées par les emportements tempétueux de Von Der Leyen, vont avoir des conséquences incalculables sur les pays méditerranéens et africains en particulier, privés de céréales vitales et surtout d’engrais. Or ces pays sont au centre de la zone d’influence de la France et de l’Europe. Au lieu de remettre Von Der Leyen qui semait le trouble à sa place de gestionnaire et d’exécutrice, Macron l’a soutenue ou laissé faire.

Les sanctions impactent aussi les Accords de Paris et les résolutions gémissantes du GIEC, ces vaches sacrées du progressisme, la famille idéologique du chef d'État. Or les sanctions n’impactent  pas seulement les énergies propres et ne contraignent pas seulement à revenir au charbon pour l’électricité et au bois pour le chauffage. Elles frappent aussi les transports, y compris ses composantes aériennes et maritimes, car toutes les routes se sont allongées pour contourner les espaces russes. Toute la chaîne logistique est ainsi impactée par les pénuries d'énergie.

Le discours du président Macron était un concentré de cette propagande martelée depuis plus de six mois sur les canaux d’information, mâtinée de coercition contre quiconque voudrait penser par lui-même et le faire savoir. Ségolène Royal en a fait l’expérience. 

La diffusion forcenée du mensonge officiel en France, et les procédés visant à égarer et sidérer l'opinion, sont des actes de violence graves contre le peuple français, son libre-arbitre, sa sécurité, sa prospérité. Devant quelle juridiction ses auteurs devront-ils en répondre un jour si l’on raisonne dans les catégories du locataire actuel de l’Élysée ?

(*) Hubert Védrine avec qualifié les Européens d'herbivores dans un monde de carnivores

Jean-Pierre Bensimon

le 24 septembre 2022