Le même jour, Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy ne faisaient pas entendre la même musique sur le drame ukrainien. C'était dimanche dernier. Sarkozy s'exprimait dans les colonnes du Journal du Dimanche (*) Macron à Rome devant la Conférence de San Egidio. (**)
Laissons la parole à ce dernier: " Une paix est possible. Seule celle qu'ils [les Ukrainiens] décideront,
quand ils le décideront...Nous avons décidé de sanctionner la Russie, d'être
aux cotés du peuple russe ... sans pour autant être partie prenante de cette
guerre."
li faut dire que Macron éprouve une ferveur toute religieuse pour les
Ukrainiens. En leur laissant le monopole du calendrier et des termes de la
négociation, il délègue à leurs ambitions et à leurs passions, l'agenda et les
positions diplomatiques propres de la France et de l'Europe. Il reprend là son
propos de la conférence des ambassadeurs de septembre dernier :
"Nous voulons construire les conditions qui
permettront, à un moment que choisira l'Ukraine, soit une victoire militaire,
soit une paix négociée." Et
nous ferons ce qu'ils décideront au moment où ils le voudront. Macron avait
aussi ajouté : " nous ne participons pas à la guerre. Nous n'avons pas
envie de participer à la guerre. Nous ne pouvons pas laisser la Russie gagner
militairement cette guerre et conquérir des territoires."
A cela Sarkozy répond:
"Oui, hélas ! J'aimerais qu'un jour quelqu'un m'explique ce que
veut dire « faire la guerre sans la faire ». S'il y a une notion qui devrait
exiger de la clarté, c'est celle de la guerre et de la paix. Soit on fait la
guerre, soit on fait la paix. Allier les deux n'a pas grand sens. En tout cas,
quand on les utilise en même temps." Que nous sommes loin du
macronisme.
Il
faut noter au passage la contradiction dans les termes du propos du président :
il dit que la paix est possible, mais selon le calendrier et les désiderata
exclusifs des Ukrainiens". Soit. Mais les Ukrainiens on adopté un texte leur
interdisant de négocier avec Poutine. Donc
la paix est impossible...
D'où
la remarque de bon sens de Sarkozy :" Les mots ont un sens
et il faut être prudent dans leur utilisation. Quand on dit qu'on ne parlera
pas à la Russie tant que Poutine sera au pouvoir, cela revient à exiger un
changement de régime à Moscou. Je considère qu'il s'agit d'un saut dangereux
vers l'inconnu..."
Donc
la paix est impossible sauf changement de régime à Moscou, puisque c'est le desiderata de Kiev.
Et
Macron qui vient d'affirmer que la paix est possible, est nécessairement d'accord
sur cette démarche de renversement du Kremlin poutinien, seule voie pour y
parvenir. Pour lui le pouvoir russe ne représente pas le peuple russe, et il
somme celui-ci de "résister."
Macron
dit : "..ce n'est pas la guerre du peuple russe pour autant...nous
avons décidé ... d'être aux cotés du peuple russe pour l'aider à résister
d'un point de vue économique, humanitaire, militaire".
Voila
donc un président de la France en exercice qui lance à la cantonade une
proposition d'aide militaire à des Russes, pourvu qu'ils s'engagent dans une lutte armée
contre le pouvoir russe... , une incitation à la guerre en bonne et due forme, livraisons d'armes à l'appui ! Cette incitation
est vis-à-vis des Russes un casus belli ! Le président sait-il à qui il
a affaire, a-t-il auparavant jeté un œil sur ses propres troupes et ses
arsenaux ?
En
regard, Sarkozy se vante (très légitimement) d'avoir su trouver un terrain
d'entente avec les Russes: "En 2008, avec Angela Merkel, nous avions refusé
l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan. Cela aurait été vécu comme une provocation
par les Russes."
En
effet Sarkozy continue de voir la réalité avec les lunettes de l'homme d'État: "Je regrette que l'Union européenne puisse donner
l'impression d'être à la remorque des Américains. Enfin, que cela plaise ou
non, les pays ne changeant pas d'adresse, l'Europe et la Russie sont condamnés
à entretenir des relations de paix et de bon voisinage. Si nous avons réussi la
réconciliation franco-allemande, nous serons capables de réconcilier l'Europe
et la Russie. C'est à la France de prendre le leadership dans cette crise."
De
l'autre coté, les mots sont aiguisés pour diaboliser, mépriser, humilier.
Macron dit :" Ne laissons pas la paix être aujourd'hui en quelque sorte
capturée par le pouvoir russe, ce n'est pas leur mot, il n'est pas à eux..."
Les Russes viennent d'apprendre ce jour-là que le mot paix ne leur appartiendra
jamais." Macron dit aussi :" Nous savons tous combien la religion
orthodoxe est aujourd'hui manipulée par le pouvoir russe." Et chacun sait que Poutine est croyant et que
la foi est plutôt une valeur répandue à l'est, et cultivée par le régime russe.
Sarkozy place sa réflexion à un tout
autre niveau, sur un tout autre registre que la morsure et le venin. Il déplore la démission de l'instance des politiques
en Europe qui laissent les administratifs confisquer et dénaturer le pouvoir.
Il dit :" Je crois à la politique et au leadership politique. La
Commission européenne est un organisme d'abord administratif. Je n'ai
d'ailleurs toujours pas compris en vertu de quel article des traités européens
Mme von der Leyen peut justifier sa compétence en matière d'achats d'armes et
de politique étrangère. "
Et l'homme d'État
s'indigne :"Nous assistons à un conflit "chaud" aux portes de
l'Europe. La seule chose que les Européens entendent aujourd'hui, c'est
l'addition de milliards d'euros consacrés à l'achat d'armes. Toujours plus
d'armes, toujours plus de morts, toujours plus de guerre ! Nous sommes à la
merci d'une erreur de calcul, d'une exaltation, d'un énervement, d'une réaction
épidermique. Nous dansons au bord d'un
volcan."
Loin des coups de sang élyséens, vingt
quatre heures après, 30 parlementaires américains
envoyaient une lettre collective à la Maison Blanche pour regretter la gestion
exclusivement militaire du conflit et demander la relance de la diplomatie, la
recherche active de la négociation, et la conjuration du risque d'escalade. Comme une
réponse au visionnaire du Faubourg-Saint-Honoré...
Macron
avait claironné à Rome une philippique du type, "la guerre , en
avant toute !" dans un gloubi boulga dialectique tandis que Sarkozy
avertissait "nous dansons au bord d'un volcan." Mais l'un est
aux affaires, l'autre retiré. La voix de la France est éteinte. Jusqu'à quand ?
(*) JDD du 23 octobre 2022
(**) Elysée :https://www.youtube.com/watch?v=5OBt1Mp0yxc 11 ' 02'' ou KATO https://www.ktotv.com/video/00423597/assemblee-inaugurale-sant-egidio-le-cri-de-la-paix
Jean-Pierre Bensimon
le 25 octobre 2022