25 oct. 2022

Ukraine: Nicolas Sarkozy et les habits de guerre d'Emmanuel Macron par Jean-Pierre Bensimon

Le même jour, Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy ne faisaient pas entendre la même musique sur le drame ukrainien. C'était dimanche dernier. Sarkozy s'exprimait dans les colonnes du Journal du Dimanche (*) Macron à Rome devant la Conférence de San Egidio. (**)


Laissons la parole à ce dernier: " Une paix est possible. Seule celle qu'ils [les Ukrainiens] décideront, quand ils le décideront...Nous avons décidé de sanctionner la Russie, d'être aux cotés du peuple russe ... sans pour autant être partie prenante de cette guerre."

li faut dire que Macron éprouve une ferveur toute religieuse pour les Ukrainiens. En leur laissant le monopole du calendrier et des termes de la négociation, il délègue à leurs ambitions et à leurs passions, l'agenda et les positions diplomatiques propres de la France et de l'Europe. Il reprend là son propos de la conférence des ambassadeurs de septembre dernier : "Nous voulons construire les conditions qui permettront, à un moment que choisira l'Ukraine, soit une victoire militaire, soit une paix négociée." Et nous ferons ce qu'ils décideront au moment où ils le voudront. Macron avait aussi ajouté : " nous ne participons pas à la guerre. Nous n'avons pas envie de participer à la guerre. Nous ne pouvons pas laisser la Russie gagner militairement cette guerre et conquérir des territoires."

A  cela Sarkozy répond: "Oui, hélas ! J'aimerais qu'un jour quelqu'un m'explique ce que veut dire « faire la guerre sans la faire ». S'il y a une notion qui devrait exiger de la clarté, c'est celle de la guerre et de la paix. Soit on fait la guerre, soit on fait la paix. Allier les deux n'a pas grand sens. En tout cas, quand on les utilise en même temps." Que nous sommes loin du macronisme.

Il faut noter au passage la contradiction dans les termes du propos du président : il dit que la paix est possible, mais selon le calendrier et les désiderata exclusifs des Ukrainiens". Soit. Mais les Ukrainiens on adopté un texte leur interdisant de négocier avec Poutine.  Donc la paix est impossible...

D'où la remarque de bon sens de Sarkozy :" Les mots ont un sens et il faut être prudent dans leur utilisation. Quand on dit qu'on ne parlera pas à la Russie tant que Poutine sera au pouvoir, cela revient à exiger un changement de régime à Moscou. Je considère qu'il s'agit d'un saut dangereux vers l'inconnu..."

Donc la paix est impossible sauf changement de régime à Moscou, puisque  c'est le desiderata de Kiev.

Et Macron qui vient d'affirmer que la paix est possible, est nécessairement d'accord sur cette démarche de renversement du Kremlin poutinien, seule voie pour y parvenir. Pour lui le pouvoir russe ne représente pas le peuple russe, et il somme celui-ci de "résister."

Macron dit : "..ce n'est pas la guerre du peuple russe pour autant...nous avons décidé ... d'être aux cotés du peuple russe pour l'aider à résister d'un point de vue économique, humanitaire, militaire".

Voila donc un président de la France en exercice qui lance à la cantonade une proposition d'aide militaire à des Russes, pourvu qu'ils s'engagent dans une lutte armée contre le pouvoir russe... , une incitation à la guerre en bonne et due forme, livraisons d'armes à l'appui ! Cette incitation est vis-à-vis des Russes un casus belli ! Le président sait-il à qui il a affaire, a-t-il auparavant jeté un œil sur ses propres troupes et ses arsenaux ?

En regard, Sarkozy se vante (très légitimement) d'avoir su trouver un terrain d'entente avec les Russes: "En 2008, avec Angela Merkel, nous avions refusé l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan. Cela aurait été vécu comme une provocation par les Russes."

En effet Sarkozy continue de voir la réalité avec les lunettes de l'homme d'État: "Je regrette que l'Union européenne puisse donner l'impression d'être à la remorque des Américains. Enfin, que cela plaise ou non, les pays ne changeant pas d'adresse, l'Europe et la Russie sont condamnés à entretenir des relations de paix et de bon voisinage. Si nous avons réussi la réconciliation franco-allemande, nous serons capables de réconcilier l'Europe et la Russie. C'est à la France de prendre le leadership dans cette crise."

De l'autre coté, les mots sont aiguisés pour diaboliser, mépriser, humilier. Macron dit :" Ne laissons pas la paix être aujourd'hui en quelque sorte capturée par le pouvoir russe, ce n'est pas leur mot, il n'est pas à eux..." Les Russes viennent d'apprendre ce jour-là que le mot paix ne leur appartiendra jamais." Macron dit aussi :" Nous savons tous combien la religion orthodoxe est aujourd'hui manipulée par le pouvoir russe."  Et chacun sait que Poutine est croyant et que la foi est plutôt une valeur répandue à l'est, et cultivée par le régime russe.

Sarkozy place sa réflexion à un tout autre niveau, sur un tout autre registre que la morsure et le venin. Il déplore la démission de l'instance des politiques en Europe qui laissent les administratifs confisquer et dénaturer le pouvoir. Il dit :" Je crois à la politique et au leadership politique. La Commission européenne est un organisme d'abord administratif. Je n'ai d'ailleurs toujours pas compris en vertu de quel article des traités européens Mme von der Leyen peut justifier sa compétence en matière d'achats d'armes et de politique étrangère. "

Et l'homme d'État s'indigne :"Nous assistons à un conflit "chaud" aux portes de l'Europe. La seule chose que les Européens entendent aujourd'hui, c'est l'addition de milliards d'euros consacrés à l'achat d'armes. Toujours plus d'armes, toujours plus de morts, toujours plus de guerre ! Nous sommes à la merci d'une erreur de calcul, d'une exaltation, d'un énervement, d'une réaction épidermique.  Nous dansons au bord d'un volcan."

Loin des coups de sang élyséens, vingt quatre heures après, 30 parlementaires américains envoyaient une lettre collective à la Maison Blanche pour regretter la gestion exclusivement militaire du conflit et demander la relance de la diplomatie, la recherche active de la négociation, et la conjuration du risque d'escalade. Comme une réponse au visionnaire du Faubourg-Saint-Honoré...

Macron avait claironné à Rome une philippique du type, "la guerre , en avant toute !" dans un gloubi boulga dialectique tandis que Sarkozy avertissait "nous dansons au bord d'un volcan." Mais l'un est aux affaires, l'autre retiré. La voix de la France est éteinte. Jusqu'à quand ?


(*) JDD du 23 octobre 2022

(**) Elysée :https://www.youtube.com/watch?v=5OBt1Mp0yxc 11 ' 02'' ou KATO https://www.ktotv.com/video/00423597/assemblee-inaugurale-sant-egidio-le-cri-de-la-paix

Jean-Pierre Bensimon

le 25  octobre 2022