Des dirigeants somnambules cautionnent aujourd'hui les yeux fermés le massacre de l'économie européenne patronné par les néo-conservateurs de Washington, sur le dos des Ukrainiens, avec son cortège de pénuries et de pauvreté à venir. Ce sont les munichois de notre temps(NdT)
Caroline Galacteros
« Le gouvernement avait le choix entre la guerre
et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la
guerre » avait lancé en 1938 Winston Churchill à Neuville Chamberlain
de retour de Munich où ce dernier et Daladier avaient abandonné les Sudètes à
Hitler, croyant ainsi échapper à la guerre. Il n’y a aucun rapport avec l’Ukraine.
Vladimir Poutine n’est pas Hitler. Il n’est pas fou non plus. Il considère
juste qu’il a trop longtemps laissé grignoter son glacis sécuritaire et que la
présence de l’OTAN à sa frontière est une menace existentielle pour la Russie
et son peuple.
Nous formons depuis 2015, via l’OTAN, les forces
ukrainiennes pour bouter la Russie hors d’Europe et la couper de l’Allemagne.
Depuis le 24 février, nous inondons Kiev d’armements et sommes devenus
cobelligérants de fait. Nous sommes déjà en guerre contre la Russie et
pour le compte de l’Amérique ; simplement nous ne le disons pas pour ne pas
devoir demander leur avis à nos peuples, et nous faisons cette guerre par
Ukrainiens interposés et à leurs dépens ultimes, comme semble commencer à le
comprendre le président Zelenski qui craint que Washington ne le lâche et
implore désormais l’OTAN de risquer rien moins qu’une guerre nucléaire pour
sauver sa peau et pas celle de son peuple. Heureusement, J. Stoltenberg n’est
pas fou non plus… Personne en Europe ou aux États-Unis n’entend
mourir pour le Donbass. En revanche, sacrifier les Ukrainiens en les armant
sans cesse pour espérer épuiser la Russie et la mettre à terre économiquement
et stratégiquement…
Contrairement à ce que dit E. Macron, « le prix de la
liberté » – le massacre de l’économie européenne – ne sauvera pas la «
démocratie » ukrainienne. Ce sera la guerre directe si rien n’est fait pour
casser l’engrenage et restabiliser la sécurité européenne, ce qui est illusoire
sans la Russie. Ceux qui poussent à la roue prolongent les souffrances du
peuple ukrainien et ne défendent aucunement les « valeurs » européennes.
L’Europe a été pensée contre la guerre. Ils la défigurent. Cette rhétorique
masque leur allégeance à un hégémonisme occidental discrédité qui croit encore
pouvoir se rétablir sur le dos de la Russie. Les vrais Munichois sont ceux qui
condamnent aujourd’hui l’Europe au déclassement stratégique, à l’aventurisme
militaire et à la soumission, non à la Russie mais aux États-Unis. Les stratèges de plateaux, stipendiés ou juste
vaniteux, portent une responsabilité lourde en véhiculant d’énormes mensonges
sur la réalité des combats, des forces et des pertes. La désinformation fait
rage dans chaque camp. La guerre va se poursuivre et l’Ukraine est mal partie.
Toute la propagande et les mensonges du monde n’y changeront rien.
Le discours du président russe du 30 septembre a
marqué un tournant dont nous n’avons pas à nous réjouir. Il a exprimé son rejet
durable de l’Europe et de « l’Occident collectif » pour des raisons
sécuritaires et existentielles, mais aussi culturelles et spirituelles. Poussé
par la surenchère otanienne qui le met en danger au plan intérieur face à des
courants qui n’ont pas gouté sa « retenue » durant les premiers mois
du conflit et demandent un engagement de forces décisif, il vient de s’y
résoudre, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Après une probable pause
opérationnelle russe, on peut craindre une phase plus violente avec destruction
des infrastructures civiles et bombardements lourds. Mais les Munichois s’en
moquent.
Avec le sabotage de North Stream 1 et 2, l’Amérique
(qui d’autre ?) vient carrément de couper le gaz à l’Europe et de décider
de la marginalisation de l’Allemagne au profit de la Pologne ! C’est un
acte de guerre de la part de notre protecteur chéri. Donc, nous faisons mine de
l’ignorer, comme la chute de l’euro et la mise en panne imminente de
l’industrie allemande qui préfigure notre propre affaissement économique. Le
chancelier Scholz n’était pas assez docile, il rechignait à livrer des chars de
combat modernes à Kiev ? L’Empire ne tolère aucune indépendance de ses
vassaux, même verbale. Les gazoducs sont coupés, le « Baltic pipe »
qui relie la Norvège à la Pologne, ennemie héréditaire de l’Allemagne, est entré
en service. Varsovie jubile et Berlin va payer par une lourde crise sa faute
géostratégique majeure consistant à obéir à Washington en renonçant à l’énergie
bon marché russe. Les États-Unis eux, voient s’éloigner leur terreur
géopolitique cardinale – l’alliance germano-russe- et imposent leur mainmise
énergétique durable sur l’Europe. Quand on pense que d’aucuns chantent
« la souveraineté européenne » …
Les Munichois sont en fait ceux qui ne disent rien,
qui n’ont jamais rien dit d’ailleurs, qui n’osent ni défendre nos intérêts
nationaux ni même ceux de l’Europe que l’on vient très brutalement de remettre
à leur place. Marginale. Nos « élites » ne pensent plus le réel,
encore moins la dimension nationale comme pertinente. Le long processus de
dévalorisation et d’affaissement des États, engagé dès les années 90, nous
coupe de tout instinct de survie. C’est ça l’esprit de Munich. C’est donc le
prix de la guerre que nous commençons déjà à payer. Les Ukrainiens dans le
sang, les Européens dans le froid et la décroissance. Pour l’instant. Il
devient inadmissible que nos dirigeants, somnambules indifférents, nous
entrainent dans un tel marasme sans devoir en rendre compte à leurs mandants.
Il est grand temps que les Français soient consultés sur cette guerre qui ne
dit pas son nom et met leur survie en jeu.
Cet affrontement est une impasse militaire. Il faut
arrêter le massacre et rétablir le dialogue. La sécurité et la prospérité de
l’Europe n’en valent-elles pas la peine ? La France peut encore et doit
porter une telle initiative. Elle sortirait peut-être ainsi du mépris croissant
dans lequel la Russie mais aussi la Chine, comme une partie de l’Afrique et de
l’Amérique latine, la tiennent désormais. Échapper au déshonneur et stopper la
guerre n’est pas être munichois, c’est juste recouvrer la raison et défendre
l’intérêt de notre peuple et de la France.
Titre original : Ukraine
: qui sont les véritables « Munichois » ?
Auteur : Caroline Galacteros Docteur en sciences politiques, colonel dans la réserve opérationnelle des Armées et ancienne directrice de séminaire à l’École de guerre (Paris), Caroline Galactéros a créé et dirige le think tank GEOPRAGMA - Pôle français de géopolitique réaliste (Paris). Elle est également l’auteur du blog Bouger les lignes.
Date de première parution : le 7 octobre 2022 in Le Courrier des stratèges