On aimerait penser à autre chose. A la coupe du Monde de football qui débute au Qatar, aux fêtes de Noel qui approchent, à la crise qui s’installe, et même aux échauffourées politiques dérisoires qui animent parfois pathétiquement notre Assemblée nationale et paraissent bien insignifiantes au regard des enjeux de fond et de l’avenir de notre pays.
Caroline Galactéros |
Que faire pour
conduire le président Ukrainien à rompre avec son jusqu’auboutisme suicidaire ?
Les courants ultranationalistes qui l’environnent, le terrifient sans doute et
le contrôlent ainsi que ses forces armées, le placent face à un tragique
dilemme de style « loose-loose » : Négocier un compromis territorial avec Moscou,
donc consentir peu ou prou à une partition du territoire ukrainien, comme
l’enjoignent désormais à mi mots de le faire Américains et Britanniques ?
Impossible sauf à se mettre lui-même en danger vital face à la fureur des
ultras. Maintenir ses positions de plus
en plus intenables au regard de la réalité militaire sur le terrain, et
prétendre reprendre tous les territoires conquis par Moscou, jusqu’à la Crimée,
en espérant provoquer enfin l’engagement de l’OTAN, comme le montre son
insistance à vouloir accréditer la responsabilité russe dans la pénétration
d’un missile sur le territoire polonais contre toute évidence et malgré les
démentis circonstanciés de Washington ? Cette attitude pourrait bien précipiter
son lâchage par ses plus grands pourvoyeurs d’armements et de subsides. A-t-il
compris que sa survie politique dépendra de sa capacité à retomber sur terre, à
admettre que l’armée russe est en train de préparer son offensive d’hiver, que
le rapport des forces est sans équivoque en sa défaveur, bref qu’il ne peut
gagner militairement mais va devoir négocier un compromis s’il veut préserver
le peu qui reste de son pays plongé dans le noir, le froid, le délabrement
économique et dont même le système de télécommunications est de plus en plus
aléatoire ?
Bref, V.
Zelinsky est entre le marteau et l’enclume. Il sait bien, comme d’ailleurs les
Polonais, que seule une zone d’exclusion aérienne au-dessus du ciel ukrainien
aurait une chance peut-être de préserver ce qu’il lui reste de forces. Mais
c’est hors de question pour Washington. Ses alliés occidentaux semblent
d’ailleurs connaitre une phase de lassitude et d’inquiétude devant le
jusqu’au-boutisme de plus en plus désespéré de leur proxy. Les stocks européens
et même américains d’armements sont en train de fondre, et nos armées vont
bientôt refuser de s’affaiblir davantage pour le renforcer. Les armes qui sont
données à Kiev de toute façon ne renverseront pas la donne militaire. « On » ne
le peut ni surtout ne le veut pas, et le jeu des postures commence à montrer
ses limites. Le premier ministre britannique Richie Sunak est venu le dire à
Kiev il y a quelques jours. Rien n’a filtré de l’entretien qui a dû être
désagréable aux oreilles de Zelenski…
Certes il y a,
aux États-Unis, les faucons démocrates neoconservateurs forcenés autour du
secrétaire d’Etat Blinken et de son Département… Mais ils sont eux aussi de
plus en plus en butte aux réserves, pour dire le moins, du Pentagone. Le
Secrétaire d’État à la défense Lloyd Austin a très récemment rappelé lors d’une
conférence à Halifax (où Zelenski est apparu pour dire qu’un cessez-le-feu
n’avait aucune chance de durer, ce qui est probablement vrai à ce stade du
conflit), que « la Russie disposait d’une armée puissante et d’armes
impressionnantes ». Il a aussi dit l’indicible : « l’issue de la guerre en
Ukraine définira les contours du monde du 21eme siècle » ! Rien de moins. Le
CEMA américain, le Gal Milley a lui clairement affirmé que la seule issue à ce
conflit est la négociation. Quant au secrétaire général de l’OTAN, il a abondé
en rappelant qu’une défaite de l’Ukraine serait aussi celle de l’Alliance.
Barak Obama lui-même, en 2016 déjà, avait reconnu que la Russie disposait d’une
incontestable « dominance dans la capacité d’escalade ». Il parlait d’or. Mais
cette soudaine lucidité arrive bien tard.
Si l’enjeu est
celui d’un retour à la réalité à Kiev comme à Washington, Londres ou Paris, le
conflit des perceptions et surtout des « informations » brouille cette prise de
conscience urgentissime. Les médias occidentaux persistent à voir dans les
quelques avancées des forces ukrainiennes (par retrait des troupes russes)
comme à Kharkov ou Kherson, les prémices d’une grande victoire militaire
ukrainienne. On en est pourtant loin. Kherson, cadeau empoisonné, devient très
difficile à approvisionner et les forces ukrainiennes toujours sous le feu
russe depuis la rive est du Dniepr, commencent à appeler les habitants à la
quitter. Les pertes sont lourdes, et les forces armées de Kiev sont de plus en
plus suppléées par des troupes polonaises voir américaines présentes au nom
d’une discrète « coalition des bonnes volontés » sans pour autant vouloir le
moins du monde provoquer de trop une Russie en train de se préparer à une
offensive d’hiver et d’injecter méthodiquement ses 300.000 réservistes
récemment mobilisés. La Russie se prépare à durer et poursuivre sa guerre
d’attrition avec des objectifs de moins en moins limités. L’échec de la
politique de sanctions et la description récente par le vice-premier ministre
russe de son pays comme d’une « île de stabilité » dans un monde chaotique,
même si elle doit être évidemment pondérée, traduit une réalité douloureuse. Le
fantasme des neoconservateurs américains de détruire l’économie, l’armée et le
pouvoir russes a explosé en vol. Les USA et plus encore l’Europe se sont laissé
entrainer par l’Ubris belliqueux de certaines de leurs composantes
gouvernementales et politiques dans un piège dont l’issue pourrait bien être la
démonstration éclatante du déclin de l’Occident et la fin de l’hégémon
américain.
En fait, nous
faisons face à la nécessité douloureuse de sortir de notre rêve- abattre la
Russie- avant que la déroute ne soit trop humiliante. Deux méthodes s’offrent
pour cela aux Américains : la méthode « douce », consistant à laisser Zelenski
s’enfoncer en le lâchant progressivement et en lui disant que c’est à lui de
décider quand il faudra négocier avec Moscou ; la méthode « radicale », en fait
plus bénéfique dans ses effets pour le pays et le peuple ukrainien : négocier
directement avec Moscou un compromis territorial et surtout stratégique
(c’est-à-dire la neutralisation définitive de l’Ukraine), assécher brutalement
le flux d’armes et d’argent pour imposer
les termes d’un accord réaliste à Zelenski qui devra faire de nécessité vertu
et y trouverait une « excuse » auprès des ultras qui l’entourent.
Dans un monde en
noir et blanc tel que nous aimons le voir, supporter que « le méchant » gagne
n’est pas facile. Mais c’est ce qui nous préserverait de pire encore. On
pourrait inscrire une telle négociation dans une vaste refondation intelligente
des équilibres de sécurité en Europe et reconstruire à grands frais l’Ukraine
pour se faire pardonner de l’avoir instrumentalisée…Mais pour avoir le courage
d’une telle approche, qui douchera les opinions publiques occidentales, il
faudrait des hommes d’État capables de prendre ces décisions douloureuses et
salutaires. Or, c’est une espèce en voie de disparition en Occident, où les
politiques à courte vue appuyés sur des médias peu critiques, bercent
complaisamment les peuples d’illusions et de « narratifs » engageants mais
faux, pour obtenir leur consentement à l’affrontement tout en leur promettant
qu’il ne leur en coutera pas grand-chose.
Cette fois-ci pourtant, ce mensonge devient trop gros : Les sanctions
sont un échec, les Européens ont froid, voient leur richesse fondre à vue d’œil
et commencent à se demander s’ils ne seraient pas les dindons ultimes de cette
farce.
Les États-Unis
devraient aussi se demander pourquoi ils se sont engagés si loin et finalement
ont accéléré la bascule du monde et notamment des pays du sud à leur détriment
? Sans doute auraient-ils eu plus à gagner en poussant les Ukrainiens à
appliquer les Accords de Minsk 2 au lieu de les en dissuader, et plus encore à
négocier un traité honnête et équilibré sur la sécurité en Europe avec la
Russie quand celle-ci le demandait à toutes forces, encore en décembre dernier,
au lieu de franchir la ligne rouge ukrainienne la fleur au fusil…des
Ukrainiens.
Nous sommes
désormais engagés dans une longue guerre d’attrition et l’Occident risque d’en
sortir avec un discrédit politique, stratégique et militaire massif. Ne parlons
pas de l’OTAN…Quant à l’Europe, ainsi que l’a rappelé le Général de Villiers,
cette guerre n’est pas de son intérêt, encore moins de celui de la France, qui
doivent entretenir des relations normales et apaisées avec la Russie. Est-il
trop tard pour casser cette spirale dangereuse et sortir de ce piège ? Il
faudrait que Washington choisisse vite la méthode dure évoquée plus haut. Comme
l’a récemment rappelé Dimitri Medvedev, les puissances occidentales sont
piégées dans un soutien à un gouvernement irresponsable qui ne peut lui-même,
sans précipiter sa propre perte, négocier le compromis indispensable ; car
celui-ci va devoir se discuter « sur la base de la réalité existante » ainsi
que récemment rappelé par Serguei Lavrov, c’est-à-dire sur la base du contrôle
de plus en plus avancé des 4 oblasts intégrés formellement à la Fédération de
Russie. Évidemment, en Europe et dans certains cercles de pouvoir à Washington,
« la réalité existante » est un déni de la réalité militaire, c’est-à-dire un
recul des forces russes dont on veut croire qu’elles sont exsangues…. Il faut
souhaiter que dans ces querelles des chapelles washingtoniennes, les réalistes
et les militaires l’emportent et entament une négociation directe avec Moscou.
La récente rencontre entre les chefs du renseignement américain et russe est
peut-être un heureux présage. Il faut le souhaiter pour le malheureux peuple
ukrainien mais aussi pour notre sécurité à tous.
Date de publication : 21 novembre 202221 novembre