L'administration Biden refuse de dire la vérité au peuple américain : l'Ukraine ne gagne pas et ne gagnera pas cette guerre.
Douglas Macgregor |
La dernière victime de cette mentalité est l'Ukraine. En l'absence
d'une analyse critique de la puissance nationale et des intérêts stratégiques
de la Russie, les hauts responsables militaires américains et leurs patrons
politiques ont considéré la Russie à travers un prisme étroit qui magnifiait
les forces américaines et ukrainiennes mais ignorait les avantages stratégiques
de la Russie - profondeur géographique, ressources naturelles presque
illimitées, forte cohésion sociale et capacité militaro-industrielle à
accroître rapidement sa puissance militaire.
L'Ukraine est désormais une zone de guerre soumise au même
traitement que celui que les forces armées américaines ont infligé à
l'Allemagne et au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, au Vietnam dans les
années 1960 et à l'Irak pendant des décennies. Les réseaux électriques, les
réseaux de transport, les infrastructures de communication, la production de
carburant et les sites de stockage de munitions sont systématiquement détruits.
Des millions d'Ukrainiens continuent de fuir la zone de guerre pour se mettre à
l'abri, avec des conséquences inquiétantes pour les sociétés et les économies
européennes.
Pendant ce temps, l'administration Biden commet à plusieurs
reprises le péché impardonnable dans une société démocratique de refuser de
dire la vérité au peuple américain : contrairement au récit populaire de la
"victoire ukrainienne" des médias occidentaux, qui bloque toute
information qui le contredit, l'Ukraine ne gagne pas et ne gagnera pas cette
guerre. Des mois de lourdes pertes ukrainiennes, résultant d'une série sans fin
d'attaques inutiles contre les défenses russes dans le sud de l'Ukraine, ont
dangereusement affaibli les forces ukrainiennes.
Comme on pouvait s'y attendre, les membres européens de l'OTAN, qui
supportent l'essentiel de l'impact de la guerre sur leurs sociétés et leurs
économies, sont de plus en plus dépités par la guerre par procuration menée par
Washington en Ukraine. Les populations européennes remettent ouvertement en
question la véracité des affirmations de la presse concernant l'État russe et
les objectifs américains en Europe. L'afflux de millions de réfugiés en
provenance d'Ukraine, ainsi qu'une combinaison de différends commerciaux, de
profits tirés des ventes d'armes américaines et de prix élevés de l'énergie
risquent de retourner l'opinion publique européenne contre la guerre de
Washington et l'OTAN.
La Russie a également subi une transformation. Au cours des
premières années du mandat du président Poutine, les forces armées russes
étaient organisées, entraînées et équipées pour une défense territoriale
exclusivement nationale. Mais la conduite de l'opération militaire spéciale
(OMS) en Ukraine a démontré l'inadéquation de cette approche pour la sécurité
nationale de la Russie au XXIe siècle.
La phase d'ouverture de l'OMS était une opération limitée avec un
objectif étroit et des buts restreints. Le point critique est que Moscou n'a
jamais eu l'intention de faire plus que persuader Kiev et Washington que Moscou
se battrait pour empêcher l'Ukraine d'adhérer à l'OTAN, et de poursuivre ses
mauvais traitements infligés aux Russes en Ukraine. L'OMS était toutefois
fondée sur des hypothèses non valables et a été interrompue. Il s'est avéré que
la nature limitée de l'OMS a obtenu le résultat inverse de celui souhaité par
Moscou, en donnant une impression de faiblesse plutôt que de force.
Après avoir conclu que les hypothèses sous-jacentes concernant la
volonté de Washington de négocier et de faire des compromis n'étaient pas
valables, Poutine a ordonné à ses services de planification militaire
d'élaborer de nouveaux plans opérationnels avec de nouveaux objectifs :
premièrement, écraser l'ennemi ukrainien ; deuxièmement, lever tout doute à
Washington et dans les capitales européennes sur le fait que la Russie
remportera la victoire à ses propres conditions ; et, troisièmement, créer un
nouveau statu quo territorial à la mesure des besoins de la Russie en matière
de sécurité nationale.
Une fois le nouveau plan soumis et approuvé, le président Poutine a
accepté une opération d'économie de force pour défendre les gains territoriaux
russes avec des forces minimales jusqu'à ce que les ressources, les capacités
et les effectifs nécessaires soient réunis pour des opérations décisives.
Poutine a également nommé un nouveau commandant de théâtre, le général Sergei
Sourovikine, un officier supérieur qui comprend la mission et possède l'état
d'esprit nécessaire pour réussir.
La prochaine phase offensive du conflit donnera un aperçu de la
nouvelle force russe qui émergera et de ses futures capacités. À l'heure
actuelle, 540.000 combattants russes sont rassemblées dans le sud de l'Ukraine,
en Russie occidentale et au Belarus. Les chiffres continuent de croître, mais
ils comprennent déjà 1.000 systèmes d'artillerie à roquettes, des milliers de
missiles balistiques tactiques, de missiles de croisière et de drones, plus
5.000 véhicules de combat blindés, dont au moins 1.500 chars, des centaines
d'avions d'attaque pilotés, des hélicoptères et des bombardiers. Cette nouvelle
force a peu de choses en commun avec l'armée russe qui est intervenue il y a 9
mois, le 24 février 2022.
Il est désormais possible de prévoir que les nouvelles forces
armées russes qui émergeront du creuset de la guerre en Ukraine seront conçues
pour exécuter des opérations stratégiquement décisives. La force russe qui en
résultera s'inspirera vraisemblablement de la conception des forces et du cadre
opérationnel recommandés dans l'ouvrage du colonel général Makhmut Gareev,
"If War Comes Tomorrow ? The Contours of Future Armed Conflict." Le
nouvel appareil militaire sera composé de forces beaucoup plus puissantes,
capables de mener des opérations décisives dans un délai relativement court,
sans nécessiter beaucoup de renforts et de préparation.
En d'autres termes, lorsque le conflit prendra fin, il semblera que
Washington aura incité l'État russe à développer sa puissance militaire, ce qui
est tout le contraire de l'affaiblissement fatal recherché par Washington lorsqu'ellel
s'est engagée dans la voie de la confrontation militaire avec Moscou.
Mais aucun de ces développements ne devrait surprendre qui que ce
soit à Washington. En commençant par le discours de Biden à Varsovie demandant
un changement de régime effectif à Moscou, l'administration Biden a refusé
d'analyser la politique étrangère en termes de stratégie. Comme un général
stupide qui insiste pour défendre jusqu'au dernier pouce de terrain, le
président Biden a confirmé l'engagement des États-Unis à s'opposer à la Russie
et, potentiellement, à tout État-nation qui ne se conforme pas aux normes
démocratiques hypocrites du mondialisme, quel qu'en soit le coût pour le peuple
américain, que ce soit en termes de sécurité ou de prospérité.
Le discours de Biden à Varsovie était chargé d'émotion et imprégné
de l'idéologie du mondialisme moralisateur qui a la cote à Washington, Londres,
Paris et Berlin. Mais pour Moscou, ce discours équivalait à un plan de paix
carthaginois. La conduite de la politique étrangère américaine par Biden, cette
transposition de la guerre contre Carthage où les Romains ne firent pas de
prisonniers, signifie que l'issue de la prochaine phase de la guerre d'Ukraine
ne détruira pas seulement l'État ukrainien. Elle démolira également les derniers
vestiges de l'ordre libéral d'après-guerre, et produira un déplacement
spectaculaire de Washington vers Moscou du pouvoir et de l'influence en Europe,
notamment à Berlin, et, dans une moindre mesure, vers Pékin.
Titre original : Washington’s CarthaginianPeace Collides With Reality
Auteur : Douglas Macgregor, colonel (retraité), et un senior fellow de The American Conservative Il a été conseiller du secrétaire à la Défense de l'administration Trump, vétéran décoré au combat. Il est l'auteur de cinq livres
Date de publication : 29 novembre 2022 in The American Conservative
Traduction : Dialexis avec Deepl