Joe R. Biden |
Il est d’abord nécessaire de situer la fonction de la guerre d’Ukraine dans la politique étrangère de l’administration Biden. Cette guerre n’est pas une fin en soi, mais un outil au service d’objectifs stratégiques plus vastes. Comme on l’a vu dans la partie1, pour les États-Unis, l’impératif est aujourd’hui de stopper la montée de l’Allemagne comme rival industriel et commercial, et de briser l’ascension de la Russie et de la Chine vers le statut de puissance à part entière dans un monde multipolaire.
Dès les années 40, les États-Unis pensaient leur
politique étrangère en termes planétaires. L’Eurasie, cette concentration sans
équivalent de ressources naturelles, humaines et d’activités économiques, reste
pour eux la clé unique de l’hégémonie mondiale. Qui domine l’Eurasie domine le
monde. Zbigniew Brzezinsli l’avait très clairement exprimé dans son ouvrage
phare (Le Grand échiquier), recommandant à l’Amérique de tout faire pour éviter
l’émergence d’un rival dans cet espace géographique auquel elle n’appartient
pas. Georges Friedman, ancien stratège de la CIA, n’avait-il pas souligné
en 2015 que : « l'intérêt primordial des États-Unis (…) a
été la relation entre l'Allemagne et la Russie, parce qu'unis ils représentent
la seule force qui pourrait nous menacer. Et nous devons nous assurer que cela
n'arrivera pas. »
Or, depuis deux décennies, l’Eurasie est le siège d’une
coagulation menaçante de dynamisme économique et d’ambitions politico-militaires
locales, sur laquelle l’Oncle Sam a de moins en moins prise. L’Allemagne y joue
un rôle central dans la mesure où elle a noué avec la Russie un axe d’échanges
vertueux qui lui apporte des ressources primaires bon marché, et avec la Chine,
un second axe d’échanges vertueux qui offre de vastes marchés à l’échelle de sa redoutable industrie. Avec le temps ce
n’est pas un rival mais trois qui sont en train d’acquérir la carrure de
concurrents stratégiques de l’Amérique. L’Allemagne impose son Nord Stream 2,
la Russie interfère au Moyen-Orient, et la Chine se projette dans le monde
entier avec son projet « One Belt,
One Road ». Pour les actuels détenteurs du pouvoir à la
Maison Blanche, c’est en brisant ces deux axes, tant qu’il en est encore temps,
que l’Amérique pourra remettre ces trois rivaux potentiels à leur place et
conserver sa position hégémonique sur l’Eurasie.
Logiquement, la première cible choisie par Biden sera la
Russie et le premier champ de bataille l’Ukraine. Ce pays est déjà le siège
d’une guerre civile larvée qui concerne indirectement Moscou. Son potentiel
démographique, son étendue et sa tradition hypernationaliste teintée de
post-nazisme, la prédisposent à assumer le rôle de supplétif dans la guerre par
procuration à venir contre le Kremlin. Biden sait que l’opinion intérieure
n’accepterait pas l’engagement au sol de boys
américains et il pense qu’il a les moyens de convaincre Kiev de se lancer dans
l’aventure.
L’activation d’un conflit de haute intensité au sol en
Europe pourra produire un choc de rupture extrêmement violent sur l’axe
germano-russe, et donnera en même temps l’occasion rêvée de dégrader
suffisamment le régime et les capacités militaires de la Russie pour la priver
de tout rêve de puissance et d’autonomie à moyen terme.
Il est aisé d’élaborer une planification
intellectuellement cohérente, mais plus complexe de la mettre en œuvre à cette
échelle. Si Biden a le goût du risque, il sait aussi qu’il peut compter sur les
jalons que l’Amérique a posés en Europe centrale sous son autorité de
vice-président. La conception de la guerre que les États-Unis d’apprêtent à
déclencher sur le théâtre ukrainien a déjà fait l’objet d’études et
d’évaluations minutieuses, couronnées par des publications. La Rand Corporation
(think tank dédié au conseil au Département d’État et aux agences de
renseignement) rédige dès 2019 un
rapport de 354 pages sur les mesures à prendre pour « Jeter la Russie
à terre. » Elles seront scrupuleusement appliquées.
Les
plans sont là, mais il faut absolument
faire porter le chapeau du déclenchement de la guerre aux Russes. Il faut
qu’ils soient perçus comme des agresseurs cruels, des hors la loi détestables,
menés par un autocrate à moitié fou, ce qui justifiera devant l’opinion de leur
faire une guerre économique et militaire impitoyable.
Les
Américains sont des spécialistes de l’intoxication de leurs adversaires qu’ils
savent pousser à la faute. En 1979, ils sont parvenus à faire croire au Kremlin
que le nouveau chef de l’Afghanistan, Hafizullah
Amin, s’apprêtait à les trahir et qu’il allait autoriser des États-Unis à
implanter chez lui des fusées qui menaceront l’Union soviétique. Le Kremlin
déclenchera une intervention pour le neutraliser mais il sera accueilli par des
djihadistes armés jusqu’aux dents par Washington. Zbigniew Brzezinski reconnaitra que les États-Unis avaient entrainé Moscou
dans le piège afghan : « nous avons maintenant l’occasion de donner à
l’URSS sa guerre du Vietnam ». En déclarant à
Saddam en 1990 qu’ils n’interviendraient pas dans le conflit avec le Koweït,
ils l’ont poussé à attaquer, leur donnant aux Américains l’occasion de lui
infliger une défaite cinglante avec l’approbation de leur opinion.
Ils
comptent tenter une manœuvre du même genre avec la Russie. Elle sera forcée de mettre
le doigt dans l’engrenage si leurs amis autonomistes russes de souche et la
Crimée sont gravement menacés. Il suffira de pousser en coulisse les
nationalistes ukrainiens à une offensive dans le Donbass pour déclencher la
réaction russe que les media se chargeront de transformer en agression illégale
et non provoquée..
Mais affronter la Russie est une affaire sérieuse qu’il
faut soigneusement préparer. A la manœuvre, Biden et ses équipes vont commencer
par fermer l’alternative du compromis, réunir une coalition puissante,
renforcer le proxy ukrainien avant de contraindre l’ours russe à entrer en
Ukraine. La Russie n’est pas tombée dans un piège, mais elle ne pouvait pas
laisser passer une provocation de plus qui avait des implications
existentielles.
I - La fermeture
des options diplomatiques
Les contentieux entre Kiev et la Russie et entre les États-Unis
et la Russie pouvaient être réglé par un compromis. Mais dans l’optique de
Biden, le but recherché n’est pas la solution d’un contentieux, mais son
utilisation pour créer un fossé infranchissable entre la Russie et l’Allemagne
et dégrader les capacités militaires de Moscou. Les armes devaient parler, et
pour leur donner la parole, il fallait rendre au préalable impossible toute alternative
diplomatique. C’est à cela que vont travailler les équipes du président.
Le premier
torpillage de l’option diplomatique est antérieur à la
guerre actuelle, mais il a bien servi à la préparer. En 2014 et 2015, des
accords avaient été passés à Minsk entre le gouvernement de Kiev et les
autonomistes de Donetsk et de Lougansk pour mettre fin à leur cruelle guerre
civile par des aménagements négociés de la constitution. Après ratification par
le Conseil de Sécurité de l’ONU, ces accords étaient devenus exécutoires sous
l’autorité de garants, France et Allemagne pour Kiev, Russie pour les
autonomistes. Ils n’ont jamais été appliqués, et la guerre civile s’est
poursuivie jusqu’à l’intervention russe de février 2024. Angela
Merkel pour l’Allemagne dès juin 2022 et François
Hollande fin décembre pour la France, ont expliqué que les accords de Minsk
avaient en fait été utilisés pour donner à Kiev le temps de bâtir une puissante
force militaire. Les deux dirigeants faisaient là sans s’en rendre compte la
pédagogie de « l’ordre international fondé sur des règles » qu’ils chérissent.
Cependant, il semble que Merkel et Macron aient
réellement tenté une relance de Minsk en 2019, dans une réunion à Paris avec
Volodomir Zelenky en présence de Poutine. La conclusion
signée par Zelensky prescrivait à Kiev d’écouter les propositions des
autonomistes et d’élaborer « des
dispositions particulières d’autoadministration locale - statut spécial - de
certaines zones des régions de Donetsk et de Louhansk ». Français et
Allemands voulaient en finir avec la guerre civile ukrainienne et ils savaient
que le protocole de Minsk était la seule chance d’éteindre pacifiquement ce
conflit inflammable sur le sol européen. Mais le Deep State de Washington
voulait entretenir cette plaie infectée, et ses alliés nationalistes/nazis ukrainiens
veillaient au grain. Zelensky s’inclina et les garants aussi, Minsk fut enterré.
Quand Biden est entré en fonction, il n’y avait plus de solution pacifique sur
le tapis, et bien sûr, il se garda bien d’en proposer une.
Le second coup
porté à l’option diplomatique consista à
introduire le sujet le plus clivant, la « libération » de la
Crimée, dans l’équation des relations
russo-américaines. Washington sait parfaitement qu’il s’agit de la pierre
angulaire de la défense russe sur son flanc sud et sa seule ouverture vers les
mers chaudes. C’est ainsi que Zelensky prend en mars 2021 un
décret dit « de désoccupation de la Crimée », qui n’était rien
d’autre qu’une déclaration
de guerre à la Russie.
« L’Ukraine n’a nullement renoncé à récupérer les territoires
qu’elle a perdus en 2014. »
Il pense évidemment au Donbass, en partie contrôlé par les autonomistes
pro-russes, mais aussi et surtout à la Crimée. »
La nouvelle administration de Washington est à l’évidence
aux manettes. D’ailleurs, quelques mois après, Washington formalisera son
alliance politico-militaire avec Kiev dans la « Charte
de partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Ukraine » où les États-Unis épiceront encore le
casus belli :
« Les États-Unis et l’Ukraine ont l’intention de poursuivre une série
de mesures de fond visant à prévenir une agression extérieure directe et
hybride contre l’Ukraine et à tenir la Russie responsable de cette agression et
des violations du droit international, y compris la saisie et la tentative
d’annexion de la Crimée et le conflit armé dirigé par la Russie dans certaines
parties des régions de Donetsk et de Louhansk en Ukraine, ainsi que son
comportement malveillant continu. »
Or nous sommes le 10 novembre 2021, bien avant l’entrée
des troupes russes en Ukraine.
Le troisième
cercueil de l’option diplomatique sera ouvert avec
le refus formel de Biden de négocier une nouvelle architecture de sécurité en
Europe, sujet qui intéresse aussi bien les pays européens que la Russie. Mais
cette dernière est au centre de la cible et se considère comme menacée dans son
existence même par trois mécanismes :
1.
L’élargissement continuel de l’OTAN
désormais sur ses frontières, malgré les engagements de 1990 de Georges Bush 1
et James Baker quand il avait fallu obtenir
l’accord de la Russie, pays vainqueur en 1945, pour autoriser la
réunification de l’Allemagne ;
2.
La liquidation de l’architecture de
sécurité antérieure fondée sur les accords de limitation des armements en
vigueur depuis les années 70. Elle découle de la sortie des États-Unis des
accords ABM, Open Skies, et INF. Le but de ses stratèges est d’implanter des
systèmes mixtes de missiles anti-missile et de missiles de croisière nucléaire
à moyenne portée au centre de l’Europe, de plus en plus proches des centres
vitaux russes. Avec le programme Aegis Ashore, tout tir de missile depuis les
bases ouvertes en Pologne et en Roumanie devrait provoquer le déclenchement
instantané d’une contre-frappe nucléaire russe, ceux-ci n’ayant pas le temps de
distinguer entre un simple tir anti missile et une frappe nucléaire contre leur
territoire ;
3.
La décision du sommet de Bucarest de
2008 d’intégrer l’Ukraine et à la Géorgie dans l’OTAN, alors que la Russie
avait fait depuis longtemps de la neutralité de l’Ukraine une ligne rouge.
L’impact de cette décision avait été amorti par l’opposition résolue d’Angela
Merkel et de Nicolas Sarkozy à sa mise en œuvre. Ils avaient obtenu le report sine die de son application. Or il faut
faire sortir la Russie de ses gonds. Le chiffon rouge est à nouveau agité le 8
juin 2001 par Blinken lors d’une communication devant le Sénat : « [les États-Unis] soutiennent l’adhésion de
l’Ukraine à l’Otan ». En février 2022, Zelensky pressera à nouveau
pour l’adhésion
à l’Otan : « Il en va de
même pour l'OTAN. On nous dit : la porte est ouverte. Mais jusqu'à présent, l'accès
n'est qu'autorisé. »
Dans un contexte aussi incertain et périlleux, la Russie
de Poutine pense diplomatie. Elle demandera l’ouverture de négociations pour
une nouvelle architecture de sécurité en Europe dès l’installation de la
nouvelle administration.
Poutine rencontrera brièvement Biden en tête à tête à
Genève le 16 juin 2021, et le 7 décembre suivant par téléconférence. Biden, qui
a signé entre temps la très menaçante Charte de partenariat avec Kiev, refuse
évidemment d’ouvrir une discussion sérieuse. Dans un ultime effort Poutine
présente aux Occidentaux le 17 décembre deux projets de traités dûment rédigés,
qui recevront aussi des réponses dilatoires. Quand l’année 2022 s’ouvre, la
Russie constate l’échec intégral de ses efforts diplomatiques et la précarité
de sa position avant que le 26 janvier la Maison Blanche ne refuse
officiellement les traités proposés le 17 décembre.
L’introduction
d’une sémantique de guerre sera le quatrième moyen de murer
l’alternative diplomatique. Une guerre commence toujours par des mots. Dès son
premier coup de téléphone, le 26 janvier 2021, Biden accuse Poutine d’intrusion
dans la campagne présidentielle de 2020 et de cyber attaques. Dans un crescendo
calculé, Biden va introduire des injures ad
hominem de plus en plus blessantes.
Après un rapport accusatoire publié la veille reprochant
à Poutine d’avoir voulu favoriser Trump lors de la présidentielle, Biden
est interrogé le 17 mars 2021 sur ABC par George Stephanopoulos. Le
questionnement a été préparé : « Vous connaissez Vladimir Poutine. Pensez-vous
que c’est un tueur ? » Joe Biden hoche la tête, puis répond : « Oui, je le
pense. » Stupéfaits, les media titreront « Biden a dit que Poutine était
un tueur. »
Ce n’est que le début d’une litanie d’imprécations.
Poutine devient un « criminel de guerre » le
17 mars 2022 devant une assemblée de parlementaires US. Le 26 mars, en
Pologne, Biden
prie, « Pour
l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir » non
sans avoir au préalable qualifié Poutine de « boucher ». Dmitri
Peskov, le porte parole du Kremlin, en tire la conclusion politique :
« les insultes
personnelles de ce genre réduisent le champ des possibles pour nos relations
bilatérales avec le gouvernement américain actuel.
Il est intéressant de comparer les anathèmes anti
poutiniennes de Biden aux remarques de Barack Obama sur la personnalité du
leader russe qu’il a beaucoup fréquenté. Dans son
interview fleuve de 2016, il dit à Jeffrey Goldberg de The Atlantic :
« Poutine n'est pas
particulièrement méchant.
« La vérité, en fait, c'est que
Poutine, dans toutes nos rencontres, est scrupuleusement poli, très franc. Nos
réunions sont très professionnelles.
« Il est constamment intéressé à être
vu comme notre pair et à travailler avec nous, parce qu'il n'est pas
complètement stupide. … Vous ne le voyez pas, dans aucune de ces réunions ici,
aidant à façonner l'ordre du jour. D'ailleurs, il n'y a pas une seule réunion
du G20 où les Russes fixent l'ordre du jour sur les questions
importantes."
En bref, sur tous les sujets, Joe Biden a fait ce qui
était en son pouvoir pour fermer les portes de la parole, du compromis, donc de
la paix. C’est la première marche de son projet de défaite militaire et de
dégradation du statut international de la Russie. Et cela marquera toute la
première année de son mandat. Mais il aura aussi traité d’autres prélables
inscrits dans son plan de guerre.
II - La mise sur
pied d’une coalition indispensable
Les Américains savent qu’ils ne peuvent pas assumer leur
guerre contre la Russie seuls. Ils ont absolument besoin, par exemple,
d’impliquer des pays d’envergure sur les marchés mondiaux pour assurer
l’efficacité de leur système de sanctions. Ils en ont aussi besoin pour
partager les charges humanitaires, sociales, logistiques et militaires de la
guerre.
L’Europe occidentale et l’Europe centrale sont toutes
désignées pour fournir ces alliés car elles sont déjà intégrées aux deux piliers de l’influence
américaine dans la région, l’Union européenne et l’OTAN. Leur situation
géographique est idéale comme bases arrière de l’Ukraine. Leur fonction
d’alliés de Washington leur imposera une multitude d’obligations :
recevoir des millions de réfugiés, assurer des livraisons d’armes et de
munitions, organiser la maintenance des engins militaire lourds, sans oublier
la formation et l’entrainement des experts et hommes de troupe ukrainiens levés
par vagues pour remplacer les effectifs qui allaient fondre comme neige au
soleil dans cette guerre d’artillerie.
Mais il y a un hic. Cette guerre n’est pas la guerre des
Européens de l’Ouest. Aucun d’entre eux ne se sent réellement menacé par la
Russie de Poutine. Aucun n’aspire à s’en prendre aux capacités militaires de la
Russie ni à isoler la Chine. Au contraire aucun pays ouest-européen se réjouit
de se couper des ressources primaires russes à bon prix, des marchés de la
Chine, des occasions d’investissement très lucratifs en Russie et de la
coopération scientifique avec Moscou sur des projets de pointe (comme ITER,
fusion nucléaire contrôlé, ou la conquête spatiale).
Bien au contraire, la guerre avec la Russie, même sous
l’artifice de non co-belligérance, heurte facialement leurs intérêts. Elle fait
courir un risque sérieux aux équilibres socio-politiques et à l’avenir
industriel d’un continent privé d’énergie et de matières premières, au moment
où mal remis du Covid, il pensait en termes de transition climatique.
Comment Biden est-il parvenu à les engager dans son
aventure et les maintenir si longtemps dans sa coalition ? La réponse
n’est pas simple. On peut seulement évoquer des facteurs qui y ont
contribué :
- la
transition de Merkel à Scholz qui a débilisé le pouvoir dans le pays phare
de l’Europe, minorant la capacité des autres pays d’affirmer ouvertement
leur intérêt national (à l’exception de la Hongrie) ;
- la
puissance des réseaux d’influence américains au sein des élites du pouvoir
des pays et des institutions européennes. Elles sont gangrénées de haut en
bas par de quasi agents d’Outre-Atlantique que leur langue et leur
nationalité de papiers désigne nominalement comme allemands, français,
belges, etc. mais qui ont fait allégeance à Washington ;
- la
force des moyens de rétorsion américains sur les alliés récalcitrants. Il
n’y a par exemple aucune explication à la destruction
« secrète » de Nord Stream 1 et 2 par des unités des forces
navales américano-norvégiennes, si ce n’est forcer l’obéissance de Berlin
à l’injonction de renonciation définitive au gaz russe ;
- l’impact
de l’influence américaine au sein du mainstream
des media dans chacun des pays alliés. Dans de nombreux cas, le mainstream a exercé des pressions
formidables sur la politique du gouvernement de leur pays, sous la dictée
discrète de l’Oncle Sam. Il n’est pas bon en politique d’avoir l’opinion
portée à l’incandescence face à soi. C’est par cet effet de bélier que
Scholz a autorisé les livraisons de chars Léopard qu’il avait fermement
refusées à Ramstein, et c’est pour la même raison que Macron a battu en
retraite après avoir eu l’outrecuidance de parler de garanties de sécurité
à accorder aux Russes
En tout état de cause, Biden ne pouvait se passer de ses
alliés européens avant de déclencher sa guerre contre la Russie. Ses équipes ont
fourni des efforts considérables pour maintenir l’ordre dans le troupeau et le
faire avancer quand il le fallait. Aujourd’hui il lui est demandé de patienter
encore jusqu’à l’automne prochain, la limite ultime de la contre-offensive
printemps-été que Washington et Kiev s’apprêtent à lancer. Mais nous n’en
sommes pas encore là. Avant de provoquer l’intervention de Moscou, il faut permettre
au régime supplétif de Kiev de supporter sans rompre le choc inouï de la guerre
qui va arriver.
III - La mise en
ordre de bataille du proxy ukrainien
Encore une fois, la guerre à venir va s’appuyer sur les réalisations
américaines des huit années précédentes, obtenues sous l’impulsion initiale du
vice-président Biden, chargé par Obama des affaires ukrainiennes. Depuis le
coup de 2014, le pouvoir ukrainien sous ombrelle américaine est solidement
installé avec Pedro Porochenko comme président. Une armée nouvelle a été bâtie
suite aux défaites subies face aux autonomistes en 2014 et 2015. Elle a été
initialement organisée, entrainée et encadrée par les américains. Elle puisera
dans les énormes stocks d’armes hérités de l’Union soviétique. Cette armée fera
ses premiers pas dans la guerre civile larvée du Donbass. On lui a construit
des fortifications dignes de la ligne Maginot sur deux axes, face aux
territoires autonomistes de Donetsk et Lougansk.
La question initiale porte sur les rapports entre
l’Ukraine de Volodomir Zelensky et les Américains. Partenariat, vassalité, ni l’un ni l’autre ?.
Dans ses racines, le régime de Kiev correspond parfaitement à la frontière
civilisationnelle entre l’Ukraine orthodoxe à l’est et l’Ukraine uniate à
l’ouest, décrite par Samuel Huntington dans son « Choc des
civilisations ». Il est repose sur un socle de nationalistes uniates issus
de Galicie et de Volhynie, pleins d’un mépris confinant au racisme envers les
populations orthodoxes de l’Est. L’aventure de Biden ne réjouit cependant que
les plus radicaux d’entre eux, où domine la geste nazie héritée de leurs ainés,
et entretenue par la publication de Mémoires, de biographies, et l’organisation
de cérémonies rituelles. Zelensky les a brièvement affrontés au moment de la
conférence de Paris de 2019, mais il a vite compris le rapport de forces imposé
aux semi modérés comme lui. Il a donc été embarqué dans l’aventure mais avec
des doutes, on le verra.
L’alignement du régime de Zelensky sur les options de
Biden repose sur le courant nationaliste, actif et organisé qui veut en
découdre, et sur le mythe d’une solution européenne aux échecs récurrent du
pays dans tous les domaines. Il ne se réduit donc pas à l’emprise politique, économique
et militaire de Washington. L’oncle Sam s’est réservé les fonctions
d’encadrement et de pilotage de la guerre, aux niveaux stratégiques et
tactiques. Il a conscience qu’il doit octroyer une certaine autonomie à ses
partenaires kiéviens pour qu’ils continuent de rassembler et de motiver les ukrainiens
envoyés au front. Cela signifie que malgré sa dépendance de son grand parrain, Zelensky
a une certaine prise sur les évènements. Il sait aussi exploiter son prestige
dans l’opinion américaine pour le retourner parfois contre ses patrons quand
ils ne livrent pas assez d’armes à ses yeux. Mais son impact sur le destin de
la guerre est quasiment nul.
Biden va se charger de la mise en ordre de bataille du
régime et de l’armée de Kiev quelques jours à peine après être entré dans le
bureau présidentiel. Il fixe trois impératifs avant le fatidique mois de
février 2022 :
- Nettoyer
toute opposition gênante au sein du monde politico-médiatique ukrainien,
- Être
en mesure de transférer légalement des armements modernes américains en
fonction des besoins,
- Intégrer
techniquement les forces armées ukrainiennes dans le dispositif militaire
de l’OTAN.
Pour le coup de
balai dans l’opposition politique ukrainienne, laissons
parler la fiche
Wikipedia de Zelensky
« En février 2021, suivant les recommandations du Conseil
national de Sécurité et de Défense, [Zelensky] interdit trois chaînes de télévision
accusées d’être des organes de propagande en faveur de la Russie. Les médias
concernés (112 Ukraine, NewsOne et Zik) appartiennent au député prorusse Taras
Kozak mais sont en réalité contrôlés par l'oligarque Victor Medvedtchouk, ami du président Vladimir Poutine. Cette
décision intervient à la demande de l’administration américaine du nouveau
président Joe Biden dans un contexte de hausse des
intentions de vote pour les candidats prorusses. En août suivant, Zelensky fait également fermer le site d’information strana.ua, qualifiant ses journalistes
de « propagandistes pro-russes », et impose des sanctions contre
plusieurs internautes. »
Le 20 mars, selon la même procédure onze partis
politiques seront interdits (Opération Z
Jacques Baud p 216)
Pour le transfert
d’armes, le 19 janvier 2022, plus d’un mois avant
l’intervention russe, le Congrès adopte une loi pré-bail qui assure le
financement d’envois d’armes en Ukraine.
Quant à
l’intégration technique des forces ukrainiennes
au sein de l’OTAN, elle atteint des
niveaux impressionnants. Lors de la manœuvre américano-ukrainienne en Mer Noire
See
Breeze, juin/juillet 2021, réunissant 30 pays et 5.000 hommes. Elle est
suivie de Rapid
Trident en septembre, sur le sol ukrainien, avec 6.000 hommes de 12
pays. Dans son discours du
22 février 2022, deux jours avant le début de son intervention,
Poutine dresse un tableau impressionnant de l’inclusion de facto de l’Ukraine dans l’OTAN :
« Ces dernières années, des contingents militaires
des pays de l'OTAN ont été presque constamment présents sur le territoire
ukrainien sous le prétexte d'exercices. Le système de contrôle des troupes
ukrainiennes a déjà été intégré à l'OTAN. Cela signifie que le quartier général
de l'OTAN peut donner des ordres directs aux forces armées ukrainiennes, même à
leurs unités et escadrons séparés.
« (….) le
réseau d'aérodromes mis à niveau avec l'aide des États-Unis à Borispol,
Ivano-Frankovsk, Chuguyev et Odessa, pour n'en citer que quelques-uns, est
capable de transférer des unités de l'armée en très peu de temps. L'espace
aérien ukrainien est ouvert aux vols d'avions stratégiques et de reconnaissance
américains, ainsi qu'aux drones qui surveillent le territoire russe.
« (…) Ensuite, notamment, l'article 17 de la
Constitution de l'Ukraine stipule que le déploiement de bases militaires
étrangères sur son territoire est illégal. Or, il s'agit là d'une convention
qui peut être facilement contournée. L'Ukraine accueille des missions
d'entraînement de l'OTAN qui sont, en fait, des bases militaires étrangères.
Ils ont simplement appelé une base une mission …. »
La neutralité de l’Ukraine et son statut de non membre de
l’OTAN sont déjà des paroles creuses ou comiques. La préparation de la guerre
américaine contre la Russie sur le sol ukrainien, est achevée au début de
l’année 2022. Le régime de Kiev est prêt pour la guerre que désirait sa faction
nationaliste/nazie et la Maison Blanche. Cela ne signifie pas que face à la
réalité de la boucherie qui se profilait, Volodomir Zelensky n’ait pas hésité,
n’ait pas tenté de reporter le clash à plus tard, ni qu’une fois la guerre
venue, il n’ait pas essayé d’y mettre rapidement un terme. Mais il était entre
des griffes trop puissantes pour lui.
IV - Le
déclenchement des hostilités
En fait, la guerre est présente en Ukraine depuis le coup
de février 2014. Dès le lendemain, la Rada avait interdit l’usage de la langue
russe dans l’administration et l’enseignement. Ce sera l’étincelle de la révolte
de l’est ukrainien. Kiev répondra par l’envoi de l’armée et des milices
néonazies financées par des oligarques, dont le fameux Ihor Kolomoïsky qui inventera le
groupe Azov. C’est une guerre civile entre Kiev et les autonomistes qui
commence, même si Moscou, qui n’a jamais envoyé ni troupes ni d’armes lourdes,
leur apporte un parcimonieux soutien. Elle fera environ 14.000 morts dont les
deux tiers selon des civils des zones autonomistes.
Biden, qui veut en découdre avec la Russie, a
désespérément besoin de transformer cette guerre civile en guerre étrangère, et
pour cela il faut que Moscou franchisse le Rubicon et qu’il envoie des troupes
en Ukraine. La manœuvre est simple : il suffit donner l’ordre à l’armée de
Kiev de balayer les républiques russophones de l’est et de reprendre la Crimée.
Poutine entrera alors dans la danse pour deux motifs auxquels il ne peut pas se
soustraire : protéger les Russes de souche de l’est et conserver la
Crimée, porte d’entrée bicentenaire de la Russie en Méditerranée.
Les deux tiers de l’armée ukrainienne sont concentrés
depuis des semaines en posture offensive, aux abords des républiques
autonomistes. Elle comprend des unités d’infanterie, d’artillerie, de blindés
et de génie. C’est Biden en personne qui déclenchera les hostilités, si l’on
veut bien admettre que les Kiéviens ne sont pas assez fous pour provoquer
l’ours russe tout seuls.
A partir du 15 février, les bombardements des territoires
de Donetsk et Lougansk par Kiev entament une courbe de progression rapide. Les explosions
sont dûment enregistrées par les observateurs de l’OSCE dont nul ne conteste
l’objectivité. (Voir Osce Crisis Group)
Elles prennent de l’ampleur jour après jour. Le nombre de frappes mensuelles du
temps de la guerre civile était de l’ordre de 500 avant la prise de fonctions
de Biden. De mars 2021 à janvier 2022, elles montent à 2.500 en moyenne,
provoquant déjà des déplacements de population vers la Russie. Au mois de
février 2022, elles vont dépasser les 8.000.
Le dos au mur, Poutine entame son intervention le 24
février, après lui avoir donné en deux un contenu légal. (Reconnaissance de
l’indépendance des deux républiques, signature d’un traité d’assistance,
réponse aux demandes d’assistance prévue par l’art 51 de la charte de l’ONU).
Puisque guerre il doit y avoir, le Kremlin ne se contentera pas d’une campagne
réactive. Il porte son effort simultanément sur plusieurs fronts, y compris sur
Kiev, tout en alignant des effectifs si réduits qu’on ne peut pas détecter de
bonne foi une intention de conquête ou
d’annexion.
Si le plan de Biden se déroule conformément aux
prévisions, il se double d’un plan médiatique d’une envergue et d’une densité
sans précédent dans l’histoire. Le but est d’annihiler immédiatement toute
opposition intérieure à la guerre et de conquérir les opinions en Occident où
les media mainstream leurs messages aux
mêmes sources. Pour parvenir à une maitrise complète de l’information, des flux
massifs et permanents de messages ad-hoc à très haute densité émotionnelle
inondent les différents segments de l’opinion. Pour bien faire l’Union
européenne interdit tous les canaux d’information russes. Le choc de sidération
par l’image, la vidéo, l’interview, le commentaire, sera d’une violence telle
que toute expression de doute, toute interrogation, toute observation critique,
sera une preuve de culpabilité propre à briser d’un coup la carrière de son
auteur. Les plateaux télévisés réunissent jour après jour des participants
strictement sur la même ligne, jusqu’à aujourd’hui. Quand Ségolène Royal faute,
elle est mise à pied dans les 48 heurs par LCI. Olivier Todd avoue qu’il a
attendu près d’un an avant d’oser dire ce qu’il pense en public.
Ce verrouillage n’a pas été obtenu en se croisant les
bras. Par exemple, une équipe de chercheurs de l’École de science mathématique
de l’université australienne d’Adélaïde, qui a eu accès aux bases de données de
Twitter (elles peuvent être ouvertes aux chercheurs) durant les deux premières
semaines de l’intervention russe, a pu étudier plus de 5 millions de tweets
émis dans cette période.. Ses travaux publiés le 20 août 2022
montrent que sur les plus de 5 millions de tweets étudiés, 90.2 % provenaient
de comptes pro-Ukraine, moins de 7 % de comptes étiquetés pro-russes, et que
ces tweets avaient été conçus pour « susciter la peur et un niveau élevé
d’angoisse. »
Cette campagne antirusse provenait de fermes de robots
utilisant de faux comptes Tweeter automatisés (60 à 80% des tweets). Elle avait
été menée à un rythme intensif de 38.000 par heure le premier jour et 50.000
par heure le troisième jour, « comme si quelqu’un avait appuyé sur une
interrupteur au début de la guerre » selon
Peter Cronau.
L’emprise sur les media est une banalité en temps de
guerre. Le but est d’unir un pays derrière ses chefs et son armée. Ce qui fait
la différence ici, c’est l’ampleur des géographiques couvertes par tous les
types de véhicules. Les opinions de pays occidentaux hétérogènes par nature
sont frappées par le même régime de transe émotionnelle. C’est ainsi que le
pouvoir médiatique passe des gouvernements locaux aux autorités de Washington
qui utiliseront indirectement les opinions intérieures locales pour faire
pression sur les dirigeants alliés passifs ou récalcitrants. On connait les
mésaventures de Scholz et de Macron avec leurs propres media. Ils ont tenté de
se faire pardonner de leur relative réserve en dégarnissant un peu plus leurs
arsenaux de Léopard, de Marder, de Caesar, de Patriot et de Mamba.
Le plan Biden est habile. Poutine est entré en guerre, le
changement de régime à Moscou est semble-t-il sur les rails, les alliés
marchent au pas de peur d’être en butte à leur propre opinion, ils
s’auto-punissent un peu plus en adoptant des sanctions encore plus sévères que
celles de Washington, et Kiev ne barguigne pas sur le sang ukrainien qu’il
répand pour aller au bout de ses obligations de supplétif.
V – Le sabotage des tentatives de cessation des hostilités
Biden tient bien entendu à ce que la guerre dure de façon
à rendre irréversible la fracture entre la Russie et l’Europe de l’ouest et épuiser
son potentiel militaire. Mais très vite, l’engrenage guerrier va s’enrayer car ni
les Russes, ni les Ukrainiens n’ont vraiment le désir de s’entretuer pour le
compte du parrain d’Outre-Atlantique qui n’a pas engagé ses propres troupes dans le chaudron.
· Ainsi,
dès le lendemain de l’intervention russe Zelensky, en dirigeant responsable
cette fois-ci, envoie des émissaires à Minsk pour parler avec les Russes. Il
demande à Naphtali Bennett, alors premier ministre d’Israël, de tenter une
médiation en se rendant à Moscou. Dans son interview du 4 février 2023, ce
dernier révèle que: « [Zelensky] était convaincu qu’il y avait une fenêtre réduite dans
laquelle un accord pourrait être conclu pour mettre fin à la guerre …j'avais
l'impression qu'ils voulaient tous les deux [Zelensky et Poutine] un cessez-le-feu ». Du côté ukrainien, il avait réussi à obtenir une concession de
Zelensky : revenir sur son intention de rejoindre l'Otan.
Les discussions avancent, mais l’Amérique et les Européens ne l’entendent pas
de cette oreille. « Tout ce que j'ai
fait était coordonné avec les États-Unis, l'Allemagne et la France » poursuit Bennett,
signalant sans critiquer la volonté des Occidentaux de « rompre
les négociations …ils
ont bloqué le processus de négociation…».
En fait l’Europe et l’Amérique annoncent à l’Ukraine, en
contrepartie à la poursuite de la guerre, des livraisons d’armes pour plusieurs
centaines de millions de dollars. A chaque inflexion de Kiev vers la discussion
et le compromis, les Occidentaux étoufferont le risque de paix avec des « paquets »
d’armements plus sophistiqués et de plus grand pouvoir létal.
Biden a encore gagné, la guerre se poursuivra. Mais Zelensky, au pied du
mur, a montré d’emblée qu’il se passerait bien d’une guerre avec la Russie, en prenant
des risques avec ses redoutables amis nationalistes et ses donneurs d’ordres de
Washington.
· Une seconde alerte intervient
quelques semaines plus tard. Les discussions ouvertes à Minsk sont suivies des
pourparlers d’Istanbul sous de patronage de Recep Tayyip Erdogan. Encore une
fois la négociation Ukraine – Russie est en passe d’aboutir : un projet
d’accord est rédigé. Zelensky propose :
1. La neutralité de l’Ukraine avec
des garanties internationales ; il n’adhérera pas à l’OTAN ;
2. L’engagement de ne pas tenter de
reprendre la Crimée par la force et de faire des zones de Donetsk et Lougansk des
« territoires séparés » ;
- Le
refus de bases étrangères sur son territoire et le consentement de garants
avant d’organiser des exercices militaires internationaux d’importance.
En échange, la Russie renoncera à la
« dénazification » et acceptera l’adhésion de l’Ukraine à l’UE
Les anglo-saxons paniquent. Biden envoie Boris Johnson à
Kiev pour refuser l’application de l’accord d’Istanbul sous peine de désaveu et
de retrait de toute assistance. Il est probable que Bojo a proféré des menaces directes
sur sa personne, et qu’il a promis que les armes les plus modernes couleront à
flot en cas de rupture. Encore une fois Zelensky s’incline. Il a désormais
compris à quel point ses marges de manœuvre sont limitées. Sa rhétorique va se
modifier et il se posera désormais comme un jusqu’auboutiste, en phase avec les
nationalistes et les néonazis qui l’entourent.
Le coulage des deux tentatives de compromis mettent en
pleine lumière la responsabilité du pouvoir américain dans le déclenchement de
cette guerre féroce. Désormais la voie est libre pour l’escalade que les
néocons de Washington avaient planifiée. La guerre « jusqu’au dernier
ukrainien, » qui
coûte « peanuts » en regard de ses avantages, durera tant qu’ils
le voudront.
A la fin de la première année de guerre, de la seconde
année si l’on prend en compte l’année de préparation entamée avec le mandat de
Biden, de la neuvième si l’on inclut la guerre civile consécutive au coup de
Maïdan dont les affrontements actuels ne sont que le prolongement, Biden a
réalisé au moins deux objectifs de ses visées planétaires:
- L’introduction
une rupture profonde et durable entre l’Europe occidentale, en particulier
l’Allemagne, et la Russie ;
- Le
ralentissement de la modernisation de la Russie et de son affirmation dans
les affaires mondiales.
Surtout l’axe vertueux germano-russe est effectivement
rompu, et Nord Stream 1 & 2 gisent au fond des eaux, une illustration des
méthodes du suzerain Yankee à l’endroit de ses vassaux indociles, aussi
puissants soient-ils.
*****
Le second volet de l'agenda planétaire américain sous Biden est de rompre aussi l’axe vertueux germano-chinois.
Biden n’y a jamais renoncé, malgré la mobilisation de son
personnel de haut rang sur la guerre en Europe. Son action « anti
germano-chinoise » s’est quand même développée avec une grande vigueur dans
deux grandes directions :
1.
La dégradation des relations d’état à état avec la Chine. L’objectif est de créer une atmosphère
irrespirable entre elle et les Occidentaux, très défavorable à la poursuite du
commerce et de multiples projets économiques et technologiques, en pariculier avec
l’Allemagne. Les provocations se sont enchainées à un rythme soutenu, marquées
par les voyages de Nancy Pelosi et des membres du Congrès à Taïwan, la
radicalisation de la mince faction indépendantiste taïwanaise, la
multiplication des sanctions, la rupture brutale de la coopération dans les
hautes technologies, et les plans de livraison d’armes à Taïwan.
2.
Les alliés de la zone indo-pacifique
(Japon, Australie, Corée du sud, Philippines) sont incités à préparer une
guerre présentée comme inévitable avec la Chine, qui suivrait son attaque
imaginaire de Taïwan. Les alliés sont fortement encouragés à réduire leurs
liens économiques avec elle, et à adopter des programmes de réarmement massifs
à l’exemple du Japon tandis que Washington ouvre de nouvelles bases aux Philippines.
Après une année de tensions montantes avec la Chine,
Washington est parvenue à crisper les relations de ses alliés du flanc est de
l’Eurasie et d’Europe de l’ouest avec l’Empire du Milieu. L’approvisionnement
et les chaines logistiques des uns et des autres sont hautement interdépendantes.
On ne bouscule pas la structure des échanges internationaux d’un revers de
manche. Les Américains vont peut-être prendre conscience de leurs limites et
des conséquences de la fracturation du monde en blocs autonomes sur leur leur
volonté illusoire d’hégémonie mondiale. Car repasser d’un monde multipolaire de facto à un monde unipolaire, c’est un
peu comme faire rentrer le dentifrice dans son tube.
Biden n’a plus
beaucoup de temps pour ériger sa propre statue et il semble vouloir prendre sa
revanche sur les douloureuses avanies qu’il a subies comme vice-président. Il s’est
engagé dans des politiques trop brutales à l’encontre de trop d’adversaires et
de partenaires pour que l’issue de ses prises de risque ne soit pas plus
cuisante qu’il ne l’imagine.
Jean-Pierre Bensimon
Date de publication : 14 mars 2023